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26 novembre 2011

L'éplucheur, par Michelle Jolly

Ce texte est né de la phrase déclencheuse placée en début de texte. Cette phrase, parmi d'autres, a été proposée en atelier. Il est toujours étonnant de voir comment un même début peut amener des textes différents... La force et la profondeur de celui-ci m'a particulièrement touchée. Bravo Michelle. Carole

L'éplucheur

 

iris ferméJoséphine poussa un cri et lâcha l’éplucheur, le couteau avait dérapé sur la pomme de terre, entaillé largement la peau à la naissance du poignet, du sang, du sang partout…

« C’est pas le moment ! »pensa-t -elle en se précipitant dans la salle de bains, elle lava la blessure, l’alcool sur la plaie à vif la fit sursauter, la coupure était profonde et mal placée, elle sortit une bande, l’entoura autour de son poignet, un pansement solide .

 Elle regardait sa main, les veines saillantes sur la peau brunie formaient un réseau nerveux, des racines entrelacées où circulait la vie, mais au-dessus, à nouveau ce pansement ; «à nouveau », certains invités, ce soir vont penser : « Elle a recommencé » ; Adrien aussi, peut-être, se dira, « Non, pas ça ! ». Laissant aller ses pensées, elle sentit l’émotion la submerger.

Elle se souvint de ces mois lourds, de l’année durant laquelle elle ne trouvait plus ses marques, ce vertige, ces douleurs qui paralysaient, cette impuissance, et, un jour ce geste fou entamant sa chair, ce refus d’aller plus loin… Du sang, du sang partout… Adrien était arrivé, avait crié après sa folie, après la mort, après elle, il l’avait soignée, consolée, et était reparti très vite vers sa vie à lui.

Petit à petit elle était remontée à la surface, tout, autour d’elle, reprenait du sens, grâce aux petites pilules, sans doute,  mais aussi à un sursaut venu de très loin au fond d’elle ; mais tout près, rien ne changeait.  Le jardin délaissé, s’était habitué à d’autres regards que le sien, l’ingrate nature continuait de pavoiser chaque saison, la terre s’était refermée sans bruit sur le corps de la petite chatte morte, près de la terrasse, l’herbe sauvage poussait, les arbres donnaient leurs fruits, les véroniques et les iris squattaient toujours les plates-bandes.

Elle se regarda dans le miroir, ses yeux avaient pris ce pli à la paupière, ce cerne bleu de ceux qui dorment mal, sa bouche un peu pincée se refermait sur un cri, quel cri ? On la sentait comme anéantie à l’intérieur. Pourtant elle était encore belle, mais elle ne le savait plus.

Adrien, lui, fonçait, depuis des années réussissait, grimpait haut dans l’échelle sociale ; il fallait suivre ; elle ne retrouvait plus chez cet homme celui qu’elle avait choisi, la tendresse, l’abandon du début, il était loin sur le chemin, elle n’arrivait pas à être au diapason, et laissait ainsi la place à d’autres.

Le temps avait rogné le vernis, les angles étaient à vif, elle se cognait chaque jour à ses illusions gâchées.

 

« Ils sont cinq à diner ce soir ! » se dit- elle en sursautant.

Elle rangea l’alcool, ferma la porte et  reprit son tablier. En finissant de préparer le repas, elle regarda dehors, derniers jours d’été, le jardin n’avait jamais été aussi beau, elle s’assit un court moment sur la terrasse, décida de partir en voyage, quelques jours avant l’hiver, elle s’habilla pour le diner, cacha dans des manches son poignet bandé, se maquilla mieux que d’habitude, se promit de changer de coiffure, de couleur, pourquoi pas ?de profiter aussi plus souvent de sa voiture ; reprendre un travail, comme autrefois.

Elle se dit, en nettoyant les dernières traces de sang, que peut être un jour, ce soir… Le gratin était particulièrement réussi, on la félicita… 


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