Ailleurs autrefois maintenant, par Héloïse
Parfums et goûts ouvrent une porte vers le passé...
Sa voisine lui avait offert un bonbon à la violette, comme en rite d’apaisement dans la salle d’attente des urgences. Viviane avait apprécié à sa juste valeur cet infime soulagement dans la durée qui s’étirait interminablement. Elle n’avait pas anticipé la suite, le dépaysement instantané dans l’appartement de sa grand-mère où de petits flacons d’eau parfumée à la violette imprégnaient la chambre réservée aux petits-enfants. Cette vision floue s’effaça rapidement : des maisons de poupée sur le tapis, un meccano, des illustrés, des boites à trésor, rien ne demeurait. Pourtant la fugacité de l’expérience n’en limitait pas l’intensité. Il restait donc, enfouis à fleur de peau, des espaces intérieurs que seul le hasard faisait ressurgir. L’immensité de l’enfance se déployait dans un froissement de temporalité abolie.
Elle en avait déjà fait l’expérience un jour, sur un marché à la frontière mexicaine. Soudainement elle s’était sentie transportée dans son pays d’enfance. Elle avait cherché ce qui avait pu la submerger ainsi. Ni les lumières éclatantes, ni les étals d’agrumes, ni même la foule colorée ne l’auraient ramenée chez elle comme sur un tapis volant. Parce que c’était bien l’essentiel de cet épisode, un retour au pays natal, un espace dilaté immensément. Elle avait respiré plus fort, fermé les yeux, respiré encore en fronçant les narines et enfin souri intérieurement d’identifier l’odeur entêtante de l’eucalyptus, celle des arbres qui bordaient l’allée descendant vers la plage dans la maison de vacances…
Elle avait encore le bonbon dans la bouche quand l’interne de garde l’avait fait appeler.
Peut-être que dans quelques années le bonbon à la violette la ramènerait là, dans cette salle d’attente… Il prendrait le gout acre du sable, il lui rappellerait qu’elle avait dû en mâchonner des herbes amères dans les mois qui avaient suivi…
Ou bien il resterait simplement le talisman conjurant l’angoisse, la petite pastille d’enfance qu’on avale sur les marches de la détresse, et qu’on oublie très vite dans le soulagement infini de la nouvelle apaisante…