Toucher, par Dréa
Ce texte est né de la proposition d'écriture: écrire avec d'autres sens que le visuel, en particulier le toucher. Mais Dréa va plus loin dans sa méditation... Carole
TOUCHER…
Immobile, Léa observe cette œuvre d’art datant du XIVème siècle : une statue représentant Marie et Jésus. Elle l’admire de face, de profil et de dos ! Son œil se promène de bas en haut, de haut en bas. Le bois a perdu par endroit totalement sa couleur et le rouge disparu atténue quelque peu sa chaleur ; le bleu écaillé demeure quand même céleste et le regard garde son émotion. Le bois ainsi vieilli n’en découvre que mieux son âme, veines et fibres mêlées. Léa renifle : l’odeur naturelle du bois disparaît sous celle ambiante de l’encens, de la cire. Dommage ! Mais n’est-ce pas là un témoignage de respect, de vénération, de reconnaissance à l’art aussi ? Léa n’est plus là, mais loin dans le Temps et l’Espace…Ses doigts enfouis dans une de ses poches frémissent et glissent imperceptiblement sur la doublure de tissu…D’un geste lent empli de respect, elle finit par céder et sa main qui s’approche, enfin rencontre ce bois , ce bois patiné par des siècles , qui appelle la Caresse . Rencontre avec la noblesse ; dialogue intime et riche en perceptions. Elle n’en finit pas d’effleurer, de tâter cette matière, d’en épouser les arrondis qui se lovent dans ses mains creuses. C’est un glissement à deux, apaisant, doux, fusionnel tel un pas de danse apparié. Les plis de la robe se suivent sereinement, comme mus par le mouvement sous les doigts voluptueux et reconnaissants. Le bras qui porte Jésus accentue la rondeur du contact ; le sourire doux et ferme, les yeux tout grand-ouverts appellent le partage et apprécient la douceur des réponses. Le bois anobli par les artistes sculpteur et peintre, est valorisé, humanisé, justifié comme le matériau le plus digne de porter cette émouvante beauté.
Mais le Bois, dans la Nature, n’en est pas moins digne, pense Léa en son for intérieur. L’Arbre, à la fois sobre et prolixe, attire la compassion comme il offre la protection. Ses racines profondes, chevelues, depuis si longtemps ancrées, incitent à la sagesse et à la relativité… Le souci prend sa mesure et l’apaisement s’installe le long de son tronc lisse. L’attouchement ému sur l’écorce rugueuse imprime dans les pores ou la joie ou la peine et les garde à jamais… En écho au feuillage bruissant tout alentour, il se fait le témoin de baisers, de serments échangés, de larmes déçues puis retrouvées.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Immobile, bien plus tard - après l’accident cérébral qu’elle vient de subir – Léa évoque douloureusement ces moments là :
« Arbre stable, bois ami sobre et calme, seras-tu taciturne ou même trop discret ? Seras-tu attentif à ma souffrance ? Ton écorce sombre et multiple livrera-t-elle ses secrets de ton cœur à mon cœur? Et ton sage discours bâti sur l’expérience pourra-t-il m’expliquer pourquoi Moi ? Pourra-t-il relativiser mon épreuve ?
J’embrasse encore mes proches mais sentent-ils mon étreinte ? Aucune réponse, aucune, n’exprime ce ressenti…La soie d’une chevelure ou celle de la peau, désormais ne sont plus que des mots. Si je les entends ces mots, ils restent bien abstraits…Et la couleur des fleurs se ternit sans parfum…. Que de choses me manquent …Privée, amputée… Malheureuse, je le suis à jamais… VIVRE ENCORE ?
Je sais, l’épreuve pouvait être plus dure et la souffrance sans limites… Je garde encore la vue et le geste possibles; mes pas me portent quand même …Mon oreille se tend ... Est-ce mon cœur qui est sourd ? Tes feuilles silencieusement tremblent au bout des branches et l’invisible oiseau, à l’instant, chante . Donc quand même, je SENS LA VIE, donc quand même je donne et je reçois, donc quand même : JE VIS… »