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18 mai 2012

Amis d'enfance, par Rolande Bernard

Piste d'écriture: le jeu Nonsense. Mots imposés: montgolfière, rhume et ivoire. Situation imposée : A l’école de votre enfant, vous croisez votre ami d’enfance.

 Amis d'enfance

Marie, chaque jour avant d’aller à son cabinet d’orthophoniste, accompagnait ses enfants à l’école. Elle arrivait toujours un quart d’heure avant l’ouverture du portail. C’était son lieu de rencontre journalier avec son amie Edith. Elles avaient chacune deux enfants, dont un fils de neuf ans et une fille de sept ans, scolarisés dans le même établissement. Leurs discussions en attendant l’heure d’ouverture du portail étaient diverses : enfants, recettes culinaires, actualité, musique et ciné, états d’âme… et surtout pression atmosphérique. Elles avaient le même âge, trente-deux ans, et pratiquaient le même sport, une passion plutôt, qui leur demandait un grand investissement. Heureusement, leurs maris s’entendaient bien, car nombreux étaient les week-ends où ils se retrouvaient autour des nacelles, à discuter soupapes et brûleurs.

Elles aimaient ces quelques minutes intimes avant de commencer leur journée de travail ; les enfants jouaient sur la place, il n’y avait pas de danger, mais tout en bavardant, Marie gardait quand même un œil sur sa fille. Celle-ci était espiègle. Ce jour-là, elle se retournait justement pour savoir où Agathe était passée, quand son regard se posa sur un homme qui se tenait immobile devant le panneau d’affichage donnant les dates des samedis vaqués de cette année 1986 ; il tenait un enfant par la main. Elle écarquilla les yeux pour mieux voir. Avait-elle une hallucination ? Non, c’était bien Paul.

- Oh, attends Edith, je viens de voir un revenant !

D’un pas rapide elle alla rejoindre l’homme, lui tapa dans le dos. Celui-ci se retourna. Sa surprise fut si violente qu’il en bégaya :

- Ma… Ma… Marie, que fais-tu là ?

- Et toi ?

- Moi j’emmène mon fils à l’école, c’est sa première rentrée ici, et en plus en cours d’année. Il est intimidé.

En effet, le garçon se collait à son père, tout en jetant des regards furtifs aux groupes d’enfants qui jouaient ou bavardaient autour d’eux.

- Nathan, voilà Marie, une amie. J’étais plus petit que toi quand on s’est rencontrés !

- Eh oui, quatre ans je crois ?

- Exact.

- Bonjour Nathan, quel âge as-tu ?

- Sept ans.

- Tu sais dans quelle classe tu vas aller ?

- Chez Mme Deshaye, répondit Paul pour son fils.

- Alors, tu vas se retrouver dans la même classe que ma fille !

Marie appela Agathe, occupée à échanger des billes avec des camarades filles et garçons :

- Agathe, viens voir.

- Quoi maman ? cria-t-elle, un peu agacée.

Marie l’appela de nouveau, et elle finit par venir :

- Voilà Nathan, dit sa mère en le lui présentant, c’est son premier jour ici. Il va être dans ta classe. Guide-le.

Le garçon, avec fierté, sortit trois billes de sa poche. Trois seulement, mais parmi les plus recherchées.

- Regarde mon agathe préférée, dit-il.

Le portail s’ouvrit.

- Viens, dit Agathe à Nathan, et en sautillant ils entrèrent dans la cour avec les autres.

- Je te remercie, Marie, dit Paul en les regardant s’éloigner. Eux au moins, auront le bonheur d’avoir des parents qui sauront s’estimer, alors que nos parents se méprisaient. Ton père appelait le mien « le planqué ».

- Oui, se souvint Marie en rougissant. « Tous des fainéants ces militaires, disait-il, voilà où vont nos impôts. »

- Je n’ai jamais pu t’inviter à mes anniversaires, et toi non plus.

- Tu as raison. Mon père était un brave homme, mais à ses yeux, du fait de ses convictions politiques, tout ce qui n’était pas communiste n’était pas valable.

- Cela ne fait rien. C’est peut-être pour cela que notre amitié fut si forte…

Edith s’était esquivée en voyant Marie et Paul si occupés par leur dialogue.  A neuf heures, le portail de l’école se referma, mais ils ne se séparèrent pas tout de suite.

- Au fait, à évoquer les vieux souvenirs, sourit Marie,  je ne t’ai pas demandé : que fais-tu là, Paul ?

- Cela fait dix jours que j’ai emménagé à Jacou. Et toi ?

- Moi cela fait dix ans que je suis installée dans ce village.

- Tu ne peux imaginer le bonheur que j’ai eu en te voyant.

- Moi aussi, j’en tremble encore, dit-elle en riant.

- Ta présence éveille tant d’heureux souvenirs.

- Moi pareillement, mais des tristes aussi.

- Oh je ne savais pas que tu avais souffert de notre amitié…

- Et pourtant… à l’âge de quinze ans, lorsque nous sommes rentrés au lycée, toutes les filles te courtisaient. Toi tu papillonnais, heureux de te sentir désiré. Moi je n’étais bonne qu’à recevoir tes confidences, alors que tu m’attirais terriblement.

- Oh ne me dis pas ça aujourd’hui. Tu m’as toujours répété, « Nous sommes comme frère et sœur, il ne peut y avoir de flirt entre nous ».

- Tu n’as jamais compris que c’était pour sauver la face ? Nous étions déjà en première, et même au cinéma, tu ne m’avais jamais pris la main.

- Je me souviendrai toujours de la remise des prix cette année-là. Tu as été appelée pour le prix de la meilleure dissertation littéraire. Quand tu es montée sur l’estrade, je t’ai trouvée si belle dans ta robe ivoire, que je me suis dit : « Dommage qu’elle ne veut pas flirter avec moi. » Et c’est le lendemain de cette magnifique journée que j’ai appris que mon père était muté à Wallis. Impossible de te joindre pour t’en faire part. Tu étais déjà partie en vacances en Corse, dans ta famille, avec tes parents. Cette annonce fut une catastrophe pour moi. Les autres fois, papa partait mais je restais avec maman, qui ne voulait pas que je change d’école tous les cinq ans, mais cette fois c’était différent. Mes parents étaient heureux, ils revenaient comme ils disaient, « chez eux ». Mon père partait avec son unité, donc avec ses amis. Ma mère n’avait jamais pu se faire à la métropole. Quelle aubaine pour elle !

Marie, un peu assommée par ces révélations, se taisait. Machinalement, elle avait pris le chemin du parking où était garée sa voiture.  Paul l’accompagnait, un peu inquiet.

- Quel dommage de ne l’apprendre qu’aujourd’hui… finit-elle par conclure, avec un sourire mi séducteur, mi moquer. Mais dis-moi, pourquoi je n’ai jamais reçu de tes nouvelles ?

- Ah ça, c’est encore une autre histoire. Tu ne vas pas me croire… Dès mon arrivée à Wallis, j’ai attrapé une méningite. J’ai été hospitalisé pendant deux mois. Sitôt de retour à la maison, je t’ai écrit. Ma lettre est revenue : « N’habite plus à l’adresse indiquée ».

- Oui… moi aussi j’ai eu beaucoup de déboires, soupira Marie en s’arrêtant pour lui faire face.  Notre retour de vacances a été catastrophique… Nous avons eu un accident. Mes parents ont trouvé la mort, moi j’en suis sortie indemne… Je suis partie vivre chez ma tante à Montpellier.

- Quelle tristesse pour toi ! Je suis navré pour tout ce qui t’est arrivé, dit Paul en prenant sa main dans les siennes.

- Merci, Paul… Mais je vais bien, aujourd’hui.

- Je le vois bien. Tu es radieuse. Raconte.

- Comme je n’avais plus la possibilité de devenir pédiatre car je devais gagner rapidement ma vie, j’ai pris une filière courte : et me voilà orthophoniste. C’est un métier que j’aime. J’exerce à Jacou. Et toi ?

- Je suis ingénieur agronome.

- Tu es marié ?

- Oui, depuis huit ans, avec la fille d’un militaire, un collègue de mon père. Sylvie est comme moi ingénieure. Je me porte bien, juste que ma méningite m’a laissé fragile au point de vue respiratoire. Je prends souvent des rhumes. Aussi, nous avons demandé notre mutation dans le sud, moi j’ai obtenu Montpellier, et Sylvie Nîmes. Une chance. Et toi, tu es mariée ?

- Oui, depuis dix ans, avec un homme charmant. Il est kiné. J’ai deux enfants, un garçon Mathieu, neuf ans, et tu as vu ma fille… Toi et Sylvie, vous avez combien d’enfants ?

- Seulement Nathan…

Ils étaient arrivés à la voiture de Marie, dont le coffre débordait d’objets mystérieux. Paul lui lança un regard interrogateur :

- On a vraiment besoin de tout ça pour exercer l’orthophonie ?

- Non, répondit-elle en riant. Je suis passionnée de montgolfière, et avec mon amie Edith, qu’il faudra que je te présente demain, nous dirigeons le club qui se trouve à Castries.

- Je me souviens, tu as toujours aimé voler. Petite, tu te mettais une cape sur les épaules et tu courais, et tu disais toujours : « Je vole, comme Fantômette »…

- Ah, tu te souviens de ça, toi ? Et aussi de ma tunique jaune et de mes collants noirs ?

- Comment aurais-je pu oublier, tu étais si mignonne…

- J’espère que tu viendras faire une excursion, rétorqua-t-elle en rougissant. De là-haut, comme la nature est belle ! Je te ferai connaitre toute la région.

- Oui avec plaisir. Malgré ma peur de n’être plus sur la terre ferme : avec toi, j’irais jusqu’au bout du monde… à défaut de grimper au septième ciel.

Marie lui tapa sur la main avec un éclat de rire.

- Oh, si je ne me dépêche pas, je vais poser un lapin à mon premier patient ! A demain, Paul ?

- Oui, à demain !

Paul s’éloigna en songeant au passé, et en espérant que malgré leurs années de séparation, leur amitié reprendrait aussi forte. Pourvu que leurs conjoints s’entendent…

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