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5 décembre 2012

La morgue, par Sonia

Piste d'écriture : partir d'une des phrases d'auteur, recensées dans le jeu : A LA MANIERE DE...

 

LA MORGUE

                              

« Je sais reconnaître quand un homme est mort. C’est à vrai dire, en quelque sorte, mon métier. Je suis commis principal à la morgue. »  Graham Greene

Croyez-vous qu’on choisit un tel métier ? J’ai été propulsé à la morgue par la force du hasard. Un poste vacant s’est présenté, j’ai sauté dessus, si l’on peut dire. Une belle promotion. Les postes  fixes se font rares par les temps qui courent, alors on ne fait pas la fine bouche, on s’y engouffre, à la morgue, et sans états d’âme. Surtout sans état  d’âme,  sinon, on est foutu d’avance. Il a fallu que ça  tombe sur moi, petit homme trop sensible, éponge,  femmelette, me disent mes amis, moi qui ai tendance à me laisser envahir par la première émotion qui passe,  moi qui porte toute la misère du monde sur mes épaules trop étroites. Alors j’ai vite pris la mesure de l’enjeu, j’ai entamé chez moi une série d’exercices, une sorte de gymnastique proposée dans un manuel  déniché  avec l’aide d’une libraire au rayon « développement personnel » de la FNAC : pensée positive, méthode Coué et tout le toutim.

Le premier mort arrive : un jeune homme ; un accident de moto.  Je pense à mon petit frère, à mon grand frère, je pense à mes cousins, je me sens mal, je vais tourner de l’œil, au secours, je ne peux pas, mes foutus exercices sont inutiles, je sors en haletant, un collègue se marre et vient me remplacer. A peine arrivé, me voilà  la risée de l’équipe. Ma promotion me coûte cher. Ça ne  durera pas. Un peu de fierté, non ? A la maison, je reprends mon training, je m’inflige une obligation de résultat.

La deuxième morte est une vieille dame, ouf, ça va mieux, au moins là, rien de plus naturel. Je tiens le bon bout. Aucune empathie, qu’elle crève la vieille, de la place pour nous, les jeunes, ras le bol des cartes Vermeil, des cartes Sénior, des cartes Age d’Or, des vieux à qui il faut céder la place dans le tram, des vieux qui font leurs courses le samedi au Supermarché comme s’ils n’avaient pas le temps en semaine, et qui nous passent devant à la caisse sous prétexte qu’ils ont une canne. Je sens que je m’aguerris.

Je devrais quand même la remercier, la vieille morte, car grâce à elle, j’ai franchi un pas décisif, je me mets à voir les morts d’un œil critique.

Comme cette grande bourgeoise qui s’est tailladé les veines dans la baignoire d’une salle de bain dans une suite au 7ème étage d’un hôtel de luxe avec vue imprenable sur la mer. A-t-on le droit de souiller une salle de bains, d’y répandre son sang sans vergogne, a-t-elle pensé à celui  ou à celle qui devra nettoyer ? Sans doute une histoire d’amour qui a mal tourné. Elle aurait mieux fait de m’y inviter, dans sa suite, rien que pour la vue.

Ou  ce militaire dont la tronche suggère le plaisir de sa vie, canarder, tuer. Il a été abattu en Afghanistan, nous a-t-on dit. Il l’a bien cherché. Personne ne l’a obligé d’y aller. Au moins il se trouve maintenant hors d’état de nuire. Cette idée m’est agréable.

Mais quand un jeune corps m’arrive un jour, celui d’une jeune femme gracile, le visage fin, morte d’un mauvais cancer, là, je craque à nouveau. La faille. Rien à critiquer. Rien à moquer. Alors je la touche, je l’effleure, je la bois des yeux, elle est belle, elle a dû être bonne, ça se voit encore à ses traits, ce sont toujours les meilleurs qui partent les premiers, c’est injuste, mais elle est là, devant moi, tout à moi, comme pour moi,  je savoure un délicieux moment, elle est seule avec moi, elle m’appartient, je me prends à rêver au grand amour, quel bonheur, elle au moins ne partira pas avec mon meilleur ami. Finalement je suis heureux, à la morgue.

 

                                               %%%%%%%%%%%%%%%%%%%%

 

 

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