Porte-bonheur, par Béatrice Laudicina

Piste d’écriture : le point d’orgue.

Porte-bonheur

Dans la vaste prairie, tu cherchais un trèfle à quatre feuilles. Comme ça. Pour me faire plaisir. Moi je n’y croyais pas, je n’en avais jamais trouvé, même en scrutant l’herbe pendant des heures.

Mais toi, tu t’obstinais à chercher. Comme ça. Pour me faire plaisir. J’observais ta main élégante qui caressait la terre, tes yeux qui comptaient mentalement, ton extrême concentration, ton front baissé et je me disais que c’était bien du temps perdu, que jamais tu ne trouverais. L’air était limpide et au loin on entendait le doux murmure d’une cascade.

Moi, je rêvais, me laissant bercer par la tiédeur des choses, par la douceur de l’après-midi, par le silence de la recherche. Je me laissais envahir par une exquise torpeur pendant que tu examinais finement l’herbe trapue.

Mes pensées divaguaient pendant que tes yeux furtifs allaient d’un point d’herbe à un autre point d’herbe. Je songeais aux derniers événements heureux, à notre mariage religieux si chargé en émotions, à notre escapade en camping-car qui nous avait conduits jusqu’à cette prairie en bord de Loire où nous nous reposions, heureux et avides de vie.

Et soudain, « ô joie, ô résurrection », tu t’es levé précipitamment : « Ça y est, j’en ai un ! » as-tu crié. Tes doigts puissants tenaient l’infiniment petit, un morceau de bonheur, un éclat de diamant, en même temps si fragile et si tenace.

Cette promesse d’avenir, tu me l’as fièrement offerte. Avec quel recueillement j’ai pris dans mes mains le précieux cadeau…

Le plus beau cadeau sans doute car il représentait toute l’obstination, toute l’humilité du monde, tu temps et de l’énergie offerts gratuitement.

Bien des années ont passé. Ce trèfle à quatre feuilles je le possède toujours, bien rangé dans un étui en plastique. Chaque fois que je l’ouvre je revis la même joie, la même exaltation qu’au premier jour. J’y puis courage, ardeur et douceur, durant un instant d’éternité et de nostalgie.

 Béatrice Laudicina, 3 décembre 2012