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14 février 2013

Le déjeuner des anciennes élèves, par Joséphine Roche

En ce jour de la Saint Valentin... le début d'une histoire d'amour inattendue, par Joséphine Roche. Elle sera publiée en 4 épisodes, puis fera l'objet d'un wobook.

 

Le déjeuner des anciennes élèves

(épisode 1)

 

 

jardin-  Qu’est-ce que tu fais ce soir ?

C’était la voix de Laurent.

Muriel se hâta vers la fenêtre et l’ouvrit. Il était en bas, grelottant, à côté de son break…

-  Je demandais : « Qu’est-ce que tu fais ce soir ? On n’en a pas parlé hier, mais je te rappelle que c’est Noël.

-  Rien de prévu, et toi ?

-  Rien. J’apporte des huîtres et du champagne, et même du foie gras, qu’en dis-tu ?

-  Très bien, je m’occupe du reste. Ferme à 18 heures. Ce serait étonnant qu’on ait des clients en soirée. Après, viens quand tu veux.

 

Elle le regarda démarrer : la voiture était en piteux état. Il était question qu’il la change au cours de l’année à venir, probablement pour un autre break Citroën… C’est vrai qu’il était très fonctionnel, on pouvait y entasser des masses de choses. Elle pensa au camion, il faudrait qu’elle mette de l’antigel. Même à l’abri du hangar, il faisait un froid de loup.

Elle se sentait légère. Le jardin sous la neige… que rêver de mieux à Noël ? Quand les flocons étaient tombés l’avant-veille, elle avait cru que ça ne durerait pas. Mais le jardin était toujours d’un blanc lumineux. Et elle succombait, comme chaque fois, au charme féérique qui s’en dégageait. Il ressemblait à une carte postale ou à une illustration des Contes d’Andersen. Hier, des oiseaux étaient venus picorer la boule de graisse qu’elle avait déposée dans la petite maison en bois suspendue au poirier.

Tout à l’heure, elle irait ramasser du houx dans le champ voisin. Et puis elle rangerait l’atelier. Elle avait rentré une bonnetière assez abîmée, mais qui, une fois décapée, serait superbe. Elle hésitait : la peindre, c’était au goût du jour et elle la vendrait rapidement. Mais peindre du merisier, quelle hérésie !… Non, il faudrait la teinter… retrouver cette nuance mordorée…la volière était belle, et aussi les tables de chevet année 50.

Elle enfila ses bottes. Le bleu du ciel et ce froid sec qui lui pénétrait les narines la rendaient euphorique, tandis qu’elle sentait son corps bien au chaud sous l’épaisseur de son manteau. C’était, chaque hiver, les mêmes sensations. Et les mêmes commentaires de Laurent qui prétendait qu’elle avait des goûts kitch, un conformisme indécrottable qui l’incitait à aimer les saintes vierges lumineuses, les globes de verre à l’intérieur saupoudré de givre, et les fleurs artificielles. « C’est une forme de névrose » assurait-il. Et il contrôlait avec vigilance les objets qu’elle récupérait dans les vide-greniers.

 

Au retour, elle arrangea les branches de houx dans une poterie, accrocha des étoiles aux double-rideaux et s’installa à la cuisine pour éplucher les pommes qui accompagneraient les magrets.

« Impression d’être en règle avec la vie, avec moi, avec les autres… marrant ! » songeait  Muriel, s’interrogeant en même temps  sur ce que signifiait pour elle « être en règle » !

Le réveillon, certes, était conforme aux normes élémentaires d’un soir de Noël.

L’année s’annonçait bien. Laurent et elle formaient une association mieux qu’efficace. Elle téléphonerait ce soir aux enfants. Guillaume  se dorait au soleil, en Guadeloupe chez ses cousins, et  Mélanie avait rejoint le groupe d’étudiants pour un séjour de ski à Font-Romeu. Ils étaient heureux. Quant à elle, son existence de célibataire lui convenait, au point de redouter les demandes en mariage chroniques de Laurent. Elle n’y échapperait sûrement pas ce soir. Une nuit de Noël, ça s’imposait !

 

Ses craintes étaient fondées.  En attaquant sa troisième coupe de champagne, Laurent murmura quelque chose d’inaudible qu’elle dut lui faire répéter.

Il s’exécuta : « En cette soirée solennelle, je tiens à te dire, Muriel, au cas où tu l’ignorerais, que je t’aime et que je te demande de bien vouloir m’épouser »

Elle lui prit la main au travers de la table.

-  Laurent, je te remercie de ta fidélité, mais franchement, à quoi ça servirait ?

-  Comment ça, servir ? Bien sûr que ça ne servirait à rien. Ton matérialisme est révoltant. Sais-tu ce que signifie le verbe « aimer » ?

-  Bof, comme tout le monde, je crois en avoir une petite idée…

-  Eh bien, nous y voilà. Il s’agit très précisément de ça.

      -  Ecoute, Laurent, je t’aime énormément, tu le sais.

-  Oui  Muriel, et c’est ce « énormément » que je regrette. N’en parlons plus.

 

Elle s’empressa de l’interroger sur son fils, évoqua leurs projets d’agrandissement du magasin. C’était l’idée de Laurent, et il y tenait beaucoup. Pendant qu’il s’exprimait avec fougue sur leur avenir professionnel, elle éteignit prudemment le chandelier qu’elle avait allumé sans réfléchir, sur la table du réveillon. Déjà, un repas en tête à tête constituait un risque, mais rien n’était plus propice aux égarements que la lueur des bougies!

 

Pendant qu’ils savouraient le crumble à l’ananas, un fait lui revint brusquement en mémoire :

-          Tu ne devineras jamais ce que j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres, hier…

-          Voyons… une lettre anonyme ? Un corbeau te fait chanter parce qu’il sait très bien que c’est toi l’assassin de madame Chauvet, et il a raison parce qu’il a flairé ton antipathie à son égard et qu’il a probablement visité ton atelier plein d’outils dangereux…

-          Absolument pas. Une invitation de l’association des anciennes élèves de L’institution Ste Madeleine, classe de seconde année scolaire 1965-66.

-          Diable ! Tu comptes t’y rendre ?

-          Figure-toi que j’y ai réfléchi… Tu imagines ! C’est France Duvigneau qui organise cette petite sauterie… d’ailleurs ça ne m’étonne pas d’elle. L’organisation de pièces de théâtre et de réunions multiples, c’était son truc, je m’en souviens très bien. Et maintenant on fête les 25 ans de la promo ! On avait 16 ans, on va plus se reconnaître !

-          Muriel, toi, on te reconnaîtra toujours. Tu as gardé la blondeur celtique de l’enfance, et tes premiers cheveux blancs sont invisibles.

-          Ce qui signifie que tu les as remarqués…

-          Rien ne m’échappe de toi… excuse-moi, j’allais dire encore des sottises.

-          Eh donc, en parcourant la liste des inscrites, j’étais perplexe. A quoi bon ! Et puis un nom m’a sauté aux yeux : le dernier, en bas : Edith Brugière. Elle !

-          Elle ?

-          Elle, mon ennemie numéro un.

-          Honnêtement, je ne te connaissais pas d’ennemis, excepté bien sûr Mme Chauvet.

-          Quand je pense à cette fille, je sens la colère m’envahir… ce qu’elle a dit et fait m’a probablement touchée plus que je ne l’imaginais.

-          Allons, oublie ces enfantillages…

-          Pourquoi les adultes banalisent-ils les chagrins des enfants, en l’occurrence des adolescentes ? Comme si les peines avaient un âge. Je suis sûre que nous nous porterions mieux si notre entourage avait pris en compte ce qui était réellement important pour nous, à 10 ou 15 ans…

-          Tu as sans doute raison. Tu iras ?

-          Oui, je crois que j’en ai très envie.

suite: demain!

illustration: http://le-jardin-du-clos.blogspot.fr/2010/12/le-jardin-sous-la-neige.html

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