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4 avril 2013

Attraper le loup..., par Carole Menahem-Lilin

Piste d'écriture: des illustrations de contes noirs pour enfants. J'ai été inspirée par différentes représentations du loup. Ceci n'est pourtant pas vraiment un conte, ou bien un conte moderne et psychanalytique? Allez, j'avoue tout: j'ai lu Bruno Bettelheim et sa Psychanalyse des contes de fées...
Ce texte paraitra en plusieurs chapitres. Carole

I

chaperonAnia se voulait légère. Elle se voulait sans corps. Mais le loup était toujours là, à la guetter. Dans la cuisine par exemple où, petite fille dodue, elle aidait sa mère-grand à confectionner ses galettes. « Tes joues sont si rouges, disait la grand-mère, qu’on en mangerait. » Et elle faisait semblant, par jeu, de les cueillir pour les mettre dans son panier. « Mais non mais non ! pensait la fillette, effrayée. Mes joues sont bien à moi. Mes joues ne sont pas des pommes. Je ne suis pas à récolter, moi ! »

Elle se mit à confectionner des galettes parfaites, les plus rondes qu’on ait jamais vues. Mais, personne n’avait envie de les manger. Elles étaient trop égales et achevées. Ania en avait fait disparaitre l’empreinte malhabile de sa main de petite fille et ce faisant, elle en avait ôté la gourmandise. Elle ne voulait pas que quiconque, jamais, puisse l’attraper, par le bout d’une bêtise, d’une natte, ou par l’arôme naïf de ses pâtisseries, alors elle se mit à grandir, et se raidir, très vite pour son âge. A chaque fois que, debout sur un petit tabouret, en équilibre sur la pointe des pieds, elle versait du sucre et du beurre dans la farine, elle se souvenait de la toute petite maladroite et effrayée qu’elle avait été ce matin-là, devant la bouche rieuse et rouge de sa grand-mère, et un peu de son amertume se diffusait dans sa pâte, qui en prenait un parfum de peur nouvelle (comme on dit d’un vin nouveau, un peu aigre) : une odeur dissuasive pour sa famille.

Non, ses parents n’en voulaient plus, de ses galettes. Ils préféraient celles de l’aïeule. Peut-être que la grand-mère possédait un appétit de vie qu’elle-même n’avait pas… Peut-être aussi que la grand-mère, ayant eu largement le temps d’assouvir sa curiosité de la vie, n’en avait plus peur, alors qu’Ania, quoiqu’elle fasse, exsudait cette peur sucrée des bourgeons…. La petite fille était un peu déçue quand même. Elles étaient belles, ses petites lunes de pâte, un vrai bijou, dorées, craquantes. Elle s’appliquait beaucoup pour les réussir. Trop, peut-être. Elle avait bien remarqué qu’à l’école, les maitresses préféraient parfois ceux qui n’ont pas tout bon…

Ania réfléchissait, réfléchissait, mais elle ne toucha jamais la vraie raison du manque d’enthousiasme de ses parents : son père et sa mère en avaient soupé des galettes. Mais ils n’osaient pas refuser de goûter celles de la vieille dame. Mme Anka avait survécu, et les survivants effrayent toujours un peu. D’ailleurs ses parents parlaient toujours à voix plus basse quand ils l’évoquaient. Il y avait dans leurs mots de l’admiration, mais aussi, oui, de l’horreur. C’est très difficile d’aimer quelqu’un qui porte cette aura, alors Ania faisait comme si elle ne la voyait pas. Elle tenait à sa grand-mère. Elle se mit donc à brider tous les loups de la curiosité qui glapissaient autour d’elle.  Elle aurait bien aimé, c’est vrai, savoir ce qui, dans la vie de sa grand-mère, provoquait le respect et la peur. Mais la grand-mère ne parlait pas de ses mésaventures, elle n’en voyait pas l’intérêt. Peut-être aurait-elle répondu aux questions d’Ania si celle-ci avait osé les poser… Mais, comment pose-t-on des questions à quelqu’un qui ne raconte jamais d’histoires ?

Surtout que ce qui intéressait Ania, c’était moins ce qu’avait surmonté sa grand-mère que les pièges dans quoi elleétait tombée. Peut-on demander ça à une adulte, une survivante ? Sans doute pas. Surtout quand les loups glapissent autour de vous, disant : « Si tu poses cette question, je te mange la bouche. Si tu obtiens la réponse, je te mange l’oreille. Si tu écris cette réponse, je te mange la main. » Et de rire, et de la bousculer gentiment. Les loups peuvent être très taquins et même affectueux. Le problème, c’est qu’ils ne savent pas arrêter les cisailles de leurs dents.

Illustration: Le Petit Chaperon rouge, Illustration de Jessie Willcox Smith, 1911

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