Attraper le loup... (2)

Suite. Premier épisode: ici. 

II

Ania non plus, avant, ne savait pas arrêter les cisailles de sa curiosité. A force d’observer, elle avait découvert, trop petite, des choses qui ne la concernaient pas et lui faisaient peur. Que sa mère, la plus civilisée des mères, avait des poils là où on n’en a pas, des yeux sur la poitrine et une double bouche à soupirs. Que sa grand-mère, si allante et un peu brusque, criait et pleurait en dormant. Quant à son père : c’était simple, il était sûrement un loup garou, en tout cas il était glabre le soir et poilu le matin ; et il portait sur lui les signes de la lune, qui croissait et décroissait.

La nuit où, sans le vouloir, Ania vit par la porte entrebâillée de la chambre de ses parents, que son père et sa mère jouaient justement à la lune, elle ne sut plus où se mettre : elle ne se mit plus, nulle part. Se réfugia dans la perfection, qui est comme un mensonge qui dirait la vérité. « Vous devez être fiers de votre fille », disaient les gens à ses parents. Curieusement non, ils n’étaient pas tellement fiers. Ils étaient plutôt chagrinés. Ils ne savaient plus très bien où était leur petite sautillante, elle avait disparu avant ses sept ans, laissant à la place un double, un clone, une ombre, qui ne manifestait aucune émotion.

C’est difficile de vivre avec une survivante, mais encore plus avec quelqu’un qui ne manifeste pas d’émotion, cette personne fût-elle votre fille, et fût-elle parfaite.

 Illustration : Libellule