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11 avril 2013

Police, vous avez dit police? par Rosalie Jeannette

Piste d'écriture: un suspect est interrogé par la police...

POLICE, VOUS AVEZ DIT POLICE ?

 

tristessa_262x300Le facteur a remis ce matin une convocation de la police à Gérard Martin, le quinqua tranquille du 4ème droite de la résidence « Plein Ciel ». Depuis son cerveau est en ébullition.

« Demain matin 9h. Mais qu’est-ce qu’ils me veulent ? 9 heures ? Qu’est-ce que je vais dire au bureau ? Le grand manitou qui descend de Paris, il me faut une excuse valable ! »

Il tourne en rond ; boit une gorgée de café bien serré, pose la tasse sur un coin de la table de cuisine, revient sur ses pas et renouvelle plusieurs fois l’opération. Machinalement, il prend son porte-monnaie, referme la porte d’entrée à clef en marmonnant :

-            Demain matin 9h ! Oh ! mon Dieu !

-            Un problème Monsieur Martin ? demande Pepita (la femme de ménage, qui monte l’escalier)

-            Oh ! mon Dieu ! (sa carcasse fait volte-face)

-            Vous avez une sale tête M. Martin ; vous n’allez pas faire un malaise ?

-            De quoi je me mêle vieille bique ? (réplique jetée par  Gérard  sans un regard pour la dame)

-            Je ne vous permets pas M. Martin. Je suis espagnole mais je sais bien ce que ça veut dire…

-            Oh ! mon Dieu ! fut encore sa seule réponse, si cela en était vraiment une.

-            J’espère qu’il y a quelqu’un chez vous M. Martin ; je ne peux pas venir un autre jour… Votre femme est absente ? Tant pis pour vous, pas de ménage cette semaine, ajoute Pepita sur un ton très agacé.

Gérard Martin n’en a que faire. Son problème est ailleurs. Il tourne les talons et se dirige vers la boulangerie pour acheter son pain, comme chaque jour. Tel un chien prêt à bondir, il demande une baguette, la paie et rebrousse chemin.

 Le dos rond, les épaules rentrées, les yeux exorbités, il marche maintenant en direction du bureau. Perdu dans ses pensées, il continue à pied le kilomètre restant pour arriver à bon port, sans monter dans son bus habituel.

Cette journée est interminable, tout va de travers. Au bureau ou dans la rue, les personnes évitent de le croiser de trop près. Un mendiant en guenille délirant à haute voix  aurait été bien moins impressionnant.

Il monte à présent les marches pour atteindre le 4ème droite. Enfin le voici de retour :

-   Mathilde ? Mathilde ? Elle n’est pas encore là. Mais qu’est-ce qu’elle fout ? Ah ! le toit ne lui tombera pas sur la tête à celle-là. Elle doit encore être…

-   Mathilde ? essaie-t-il encore - Rien – Pour lui-même : Dégonflé ! tu n’as pas pu trouver une excuse pour demain ; minable, je suis minable. Il ne me reste plus qu’à téléphoner demain matin pour dire que je suis souffrant…

Gérard Martin regarde sa montre. Déjà 21 heures. Il ouvre le frigo qui est aussi désespéramment vide que son estomac. « Et Mathilde toujours pas rentrée… Non, évidemment. Je devrais peut-être… Non, je vais me coucher, de toute façon je ne peux rien avaler ».

A son réveil, toujours pas de Mathilde. Evidemment. Il visite tout de même scrupuleusement chaque pièce du petit appartement, sans aucun résultat. Une fois n’est pas coutume, il se fera son café noir tout seul. Il décroche le combiné de téléphone, l’estomac noué, les jambes tremblantes ainsi que ses lèvres, mais aucun son ne sort de sa bouche. A l’autre bout de la ligne la standardiste s’énerve et finit par raccrocher. Le grand manitou et son patron vont avoir mauvaise opinion de lui. Pourvu que….

***

Gérard Martin se pointe au poste de police avec une bonne demi-heure d’avance. Il présente à l’agent d’accueil sa convocation sans prononcer une seule syllabe, il en est encore incapable. Le brigadier lui demande de s’assoir et d’attendre qu’on vienne le chercher. Il ne tient pas en place,ses jambes commencent à s’agiter, ses oigts tournent violemment les pages de la revue placée devant lui. « Qu’est-ce qu’on attend ? Je n’ai pas que ça à faire moi ! Je travaille. Ah ! Ces fonctionnaires… » Après avoir pris Dieu et ses Saints en boucs émissaires, il change de registre.

 

Les cernes au milieu des joues, les yeux explosés, quelques cheveux encore sur son crâne en bataille, le nez rougi par le froid glacial, voilà l’image qui se réfléchit sur la vitre teintée face à lui. Il se fait peur, lui à l’accoutumée bien mis dans un costume gris foncé, certes hors d’âge mais sans faux plis, comme il sied à un bon comptable d’entreprise.

 ***

Neuf hures sonnantes et trébuchantes. Un officier de police vient à sa rencontre et l’invite à le suivre. « Oh ! Mon Dieu ! Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? "

Il s'assoit à même le bord de la chaise que lui désigne l’agent dès son entrée dans l’étroit bureau encombré.

-            Bon ! M. Gérard Martin, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Savez-vous pourquoi vous êtes ici ?

Le temps d’un simple hochement de tête de gauche à droite et de droite à gauche et l’officier reprend :

-            Vous ne vous en doutez pas M. Martin ?

Même mouvement de tête en réponse.

-            Savez-vous où se trouve votre femme ?

Silence pour l’un, troisième hochement de tête pour l’autre.

-            Quand l’avez-vous vue pour la dernière fois, M. Martin ?

Les yeux écarquillés s’assombrissent encore. Un haussement d’épaules vient renchérir cette position fort désagréable.

-            Il faudrait me dire quelque chose, M. Martin !

La bouche de celui-ci s’entrouvre difficilement mais les mots restent bloqués. Pas un son, aucun soupçon de réponse. Gérard Martin ne peut que prendre sa tête entre ses mains en signe de détresse.

 ***

L’OPJ sort un instant de la pièce, le laissant « méditer » -selon sa propre expression- sur les conséquences de son mutisme. Il prend un café en discutant avec des collègues, puis fait un compte-rendu succinct à son supérieur sur la situation. « C’est le blocage total pour l’instant, chef. Je ne sais pas comment m’y prendre pour le faire parler. A croire qu’il est muet… ». Après un rapide rappel à l’ordre concernant les discriminations physiques, le brigadier-chef ui emboîte le pas pour un interrogatoire en règle. 

 

 Suite: demain. L'illustrateur est Envysage, http://envysaje.unblog.fr/2012/05/28/lhomme-triste/

 

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