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18 avril 2013

Aalice et le Psycha-Analyste, par Carole Menahem-Lilin

 La publication des textes inspirés des toiles d'Ivan Dmitriev se poursuit. 

Pour visionner d'autres oeuvres d'Ivan: https://www.facebook.com/#!/pages/MOLOTOFS-ART/437600772983980?bookmark_t=page

Aalice et le Psycha-Analyste

 

chat_cheschireLe diable est sorti de sa boite avec son sourire sardonique aux dents pointues. Aalice a peur. On lui a bien dit, pourtant, de ne pas craindre Mr Cheshire, qu’il était là pour l’aider. Mais Aalice n’y peut rien, à chaque fois que le « bon docteur » ouvre la porte du petit salon où elle l’attend, pour lui tendre une patte, euh pardon une main, trop chaude mais aux coussinets frais, elle sent son âme se rétracter.

C’est bien embêtant, parce que Cheshire est justement un pêcheur d’âmes.

Il doit sentir cette odeur de peur qu’elle exhale, ses yeux un peu tombants se plissent, il sourit plus largement, dévoilant une laaarge bouche prête à la dévorer. Aalice devrait avoir l’habitude, depuis qu’elle est petite fille elle a attiré les plumassiers incapables d’avoir des idées seuls, mais qui savent si bien les traduire sur papier. Alors qu’elle pas. C’est embêtant. On a beau dire, être l’égérie, à force, ne suffit plus. Ni à se sentir femme, ni à se forger un nom. Tout juste un prénom. Ce cher Lewis, au moins, a eu la gentillesse de lui laisser le sien. Enfin presque : il a juste retiré un A. Il a rendu Alice célèbre. Mais elle, l’Aalice avec deux A ? Bernique.

Alors depuis elle attend, figée au-dessus du puits, toujours en retard d’un lapin, d’une montre, d’un thé, toujours terrorisée par la reine mère et le chapelier fou. C’étaient ses rêves de petite fille, vous comprenez ? Ils lui composaient un univers riche, au sein duquel la petite Aalice pouvait se transformer en géante ou en naine, bercer ou jeter le bébé, faire de son chagrin une mare, que dis-je, une mer.

Ses rêves jetés à la mer, enfin, au public, ne lui appartiennent plus. Ils n’ont pu évoluer. Ils se sont chosifiés, tout comme Aalice. Réifiés, comme la reine. Entre Aalice et la reine de cœur, il n’y a plus de solution de continuité, et les bébés continueront de se transformer en porcelets.

J’avais tout pour être heureuse ! se lamente Aalice.

Mr Cheshire doit pressentir la saveur de ses larmes, car il sourit plus laarge.

« Raacontez-moi, ma chère », feule-t-il en la guidant dans son cabinet de consultation.

Raaconter quoi ? Des aventures inédites d’Alice qui a laissé sa « géantitude » dans ce royaume qui n’en finit pas de la piéger ?

« Il était une fois un labyrinthe… commence-t-elle.

-            Un laabyrinthe ? Comme c’est intééressant… »

Aalice le regarde avec plus d’attention. Elle n’avait jamais remarqué qu’il doublait les voyelles, lui aussi. Comme elle qui n’a jamais accepté de nettoyer son prénom de ce A superfétatoire, ce A de cœur, de roses, et d’émotions.

« Coupez-lui le A ! » clamait la reine de Cœur sans cesse. Elle en avait de bonnes. Et si on lui avait coupé son E, à elle ? Ce E dans l’O, qui n’avait pas de sens, ni de mesure.

« Vous aussi vous avez refusé de choisir ! » rétorqua soudain Aalice, haut et fort dans le cabinet du psychaanalyste. « Vous avez le E, vous avez l’eau, et vous avez…

-            Le baby ! rétorqua la reine, subitement apparue avec sa poêle à frire. Mais je dois rester seule dans ce cas, ma chère. Vous avez compris ? Qu’on lui coupe le A !

-            Pas du tout, j’ai toute ma tête ! répliqua soudain la jeune femme, très calme, en se redressant lentement. Dr Cheshire, je vous remercie de votre aide. Votre présence intrigante m’a aidée à déjouer les intrigues. Je vous croyais le grand méchant sire, alors que vous n’étiez…

-            Que le grand Cheshire de votre désiiir.

-            C’est presque cela, maitre.

-            Mais encoore ?

-            Ah non, la suite je la garde pour mon prochain…

-            Episoode ?

-            Récit. Aalice au pays des Marvels. On m’y verra affronter Spiderman, Batman et autre mâles supersooniques.

-            Cela m’a l’air délicieusement décaadent. Et qui aura l’honneur de l’écrire ?

-            Mais… moi, maitre. Moi-même.

-            Si on ne vous coupe la lan-an-gue avant. »

Cheshire avait écarté les lèvres sur un sourire plus rasoir encore que d’habitude. Raasoir. Mais Aalice n’avait plus peur. Elle avait gardé ses deux âmes. Et ses deux âges. Elle saurait faire face.

Elle se mit debout, déterminée.

« Avez-vous un stylo, maitre ?

-            Pour quoi-oi fai-ai-re, ma chèère enfant ?

-            Etablir votre chèque aanuel.

-            Ah, dans ce cas-as. »

Il lui tendit une pointe griffue, à tremper dans son propre sang. Aalice lui renvoya un sourire mutin. Puis referma le poing autour de la pointe, et tout soudain, disparut.

Le psychaanalyste en resta sur les crocs, patte en l’air et moustaches frissonnantes. Il avait bien cru la tenir, cette fois, la petite Aalice. Mais face à lui, ne demeurait qu’une toile noire, de la taille de sa patiente assise, et qui représentait, en blanc une tête félinesque énigmatique, qu’un profil de fillette regardait avec attention.

Quelques temps plus tard, parurent les Nouvelles aventures maarvellous d’Aalice, par elle-même. Cet opus eut nettement moins de succès que le Lewis Carroll, paru cent ans plus tôt. Mais tout de même, les amateurs y distinguèrent une belle griffe.

« Elle me doit tout, comme d’habitude ! » feu-eu-la Cheshire.

En êtes-vous bien sûr, triste sire ?

A sa mort, le tableau diabolique fut vendu aux enchères par ses héritiers, et atteignit des sommets. Aalice, très âgée, était venue avec ses filles et petits-fils. Elle observait avec contentement sa silhouette éternellement enfantine lancer des flammes blanches sous le regard ambigu de Cheshire. Cela ne la dérangeait pas, puisqu’elle en était finalement la créatrice. 

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