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21 mai 2013

Le foulard de Chrysanthème, par Rolande Bernard

Pistes d'écriture:
1. à la manière de J.P. Enthoven dans L'hypothèse des sentiments, introduire un narrateur interventionniste, qui s'adresse au lecteur, se pose des questions, fait des commentaires (y compris sous forme de notes en bas de page), propose des hypothèses...

2. créer deux fils narratifs qui se croisent.

 

Le foulard de Chrysanthème

 

ferryLe bateau qui glisse sur la mer s’approche de la grande ville. La jeune fille[1] assise dans sa robe garnie d’un petit cœur en or, ayant au doigt une bague aux mille facettes, se demande quand elle reviendra dans sa ville natale, en Corse. Elle ouvre son sac, orné de marguerites rouges. Son livre, Polygraphes, tombe à terre. Elle le ramasse, prend un stylo noir et commence une page d’écriture[2]. Mais son regard se perd. Elle pense à l’entretien qu’elle devra affronter le lendemain. Elle qui, pourtant, a étudié deux ans à Londres et un an à Paris, aujourd’hui tout  l’inquiète. Elle a dû prendre le bateau au lieu de l’avion, car elle avait peur de paniquer dans les couloirs d’embarquement puis dans la cabine close. L’entreprise où elle doit se rendre se trouve dans un building. Saura-t-elle affronter le hall immense qui devra la conduire au bureau de son interlocuteur ? Puis le fait d’être enfermée dans des salles dont on ne peut ouvrir les fenêtres ?  Sera-t-elle assez attentive aux directives qu’on va lui donner ? Elle a des regrets, il est sans doute trop tôt pour quitter sa belle vallée[3]. Pourtant sa grand-mère l’a poussée à y aller. « J’ai confiance en toi, tu sauras faire face, ma chérie ».

Une sirène retentit, qui la fait sursauter. Elle est arrivée à Marseille. Cette ville l’aspire. Elle vacille. Son cœur bat la chamade. Non ce n’est pas ce qu’elle avait imaginé. Des larmes coulent sur son visage. Pourtant, elle a affronté des villes bien plus tentaculaires. Mais c’est avec Philippe qu’elle aurait dû reprendre le bateau, or ce salaud était parti trois mois avant, avec la correspondante de sa sœur, une anglaise. Lui qui n’aimait pas les blondes aux yeux bleus, boulottes, disait-il, c’est avec ce spécimen qu’il était parti faire leur voyage, aux Etats-Unis…[4]

Philippe, qui avait pourtant toujours juré que sans elle il était perdu, était parti avec une autre par monts et par vaux. Tant de projets avaient été élaborés ensemble… Elle avait d’autant plus de mal à surmonter cette trahison. Il fallait qu’elle parte, qu’elle quitte les lieux où elle avait connu un bref bonheur avec lui, lui répétait sa grand-mère, elle espérait en s’éloignant connaitre une guérison plus rapide.

Etait-ce vraiment une bonne idée ? qu’en pensez-vous, lecteur ?

Victoria espère que le travail qu’elle va entreprendre va la valoriser. Encore faut-il qu’elle obtienne le poste. Est-elle dans l’état d’esprit adéquat ? Depuis la trahison de Philippe, sa grand-mère la materne et l’accompagne partout, car elle a de brèves attaques de claustrophobie. La ville de Marseille ne va-t-elle pas lui apparaitre comme un grand labyrinthe ? Est-ce que cela va la stimuler, comme le lui a affirmé la vieille dame qui en a connu d’autres[5], ou au contraire l’effrayer ?

Après l’épreuve que lui a fait subir Philippe, elle n’a plus confiance dans les hommes, ce qui est compréhensible, mais surtout elle n’a plus confiance en elle-même. Elle restera sur la défensive. Est-ce que cela plaira ou pas à son futur patron ?

Mystère. Pour le moment nous sommes en fin d’après-midi, il faut que la jeune Victoria descende du bateau sans oublier ses bagages, son livre, son carnet… Qu’elle se fraye un chemin dans la foule du port sans paniquer, jusqu’au taxi qui la mènera au foyer de jeunes filles où elle a retenu une chambre pour sa première nuit. Elle respire longuement, profondément, puis se lance. Voilà la station de taxis, la première épreuve a été franchie.

Dès son arrivée au foyer, Victoria a pris possession de sa chambre. Elle est spacieuse, claire avec une grande fenêtre, meublée d’un lit recouvert d’une couette à fleurs, d’une table, d’un placard mural et d’un joli cabinet de toilettes. Victoria y respire à l’aise. Elle pense : « Au moins une chose positive, en attendant d’avoir un appartement. Encore faut-il que j’obtienne le poste. »

 

***

Victor est furieux. Il avait convoqué six candidates pour le poste de collaboratrice interprète trilingue, aucune ne lui avait donné satisfaction. Elles étaient tantôt bonnes en anglais, tantôt en chinois, mais aucune n’avait été capable de maitriser les deux, et encore moins de comprendre ce qu'il attendait d'elles. Tout en maugréant, il entra dans le bureau de sa secrétaire, Melle Marie Breton : « Oh, tu es de mauvais poil, Victor. » Oui, Melle Breton tutoyait ce dernier. Elle l’avait vu naitre. Avant d’être sa secrétaire, elle avait été celle de son père[6]. Cela faisait trente ans qu’elle était le pivot de l’établissement, elle en connaissait tous les rouages, elle avait accepté de continuer son travail auprès du fils depuis que le père avait dû s’arrêter il y avait six mois, en raison d’une attaque d’apoplexie. Victor lui en était reconnaissant, il avait été propulsé à la tête de cette importante société plus tôt que prévu. Il avait une idée pour élargir les marchés : négocier avec la Chine. D’où sa recherche d’une personne parlant le chinois, l’anglais et apte à s’intégrer dans l’entreprise. D’où aussi, vous l’aurez compris lecteur, sa manifestation de mécontentement de n’avoir pu trouver la personne adéquate. Mais Victor est un chef d’entreprise, il n’a pas le temps de s’attarder sur ses états d’âme.

« Mademoiselle, il faut que je me sauve. J’ai rendez-vous à quinze heures, j’emmène mon père à l’hôpital pour des examens.

- N’oublie pas : tu as rendez-vous demain à neuf heures pour auditionner une candidate qui, j’espère, sera la bonne. Et après, préparation pour la foire de Paris.

- Oui, oui à demain.

- Mes amitiés à ton père. »

Suite demain


[1] A notre tour, glissons qu’elle s’appelle Victoria, célibataire, elle a 23 ans.

[2] Sur le livre ? vous demandez-vous lecteur. Mais non, sur son carnet, qui ne la quitte jamais. C’est un petit carnet à secrets, fermé par un petit cadenas, et une clé minuscule, qu’elle garde toujours sur elle. Elle seule peut donc y accéder.

[3] « Belle vallée » pensez-vous, et aussitôt de nombreux noms vous viennent en tête. Mais pour Victoria, il n’y en a qu’une, c’est Corté, en Corse.

[4] C’est la jalousie, peut-on penser lecteur, qui lui fait dire cela. Moi, je trouve que l’Anglaise en question présente plutôt une certaine ressemblance avec Lady Di, qu’on ne peut qualifier de boulotte. Non ?

[5] « Si tu es ma petite fille, tu en seras capable, j’ai bien refait ma vie, moi, plusieurs fois. Je crois en toi. »

[6] Et sûrement aussi sa maitresse.

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