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19 juin 2013

Infarctus, par Chantal Joanny

Piste d'écriture: à la manière de Boris Vian dans L'écume des jours, créer un monde "décallé".

 

cafeti_reCe matin la cafetière refuse de monter, dévisser la partie haute, le café bien tassé, la partie inférieure est remplie mais l'eau s'est durcie, au lieu de bouillir, en une sorte de gélatine  comme  la sauce du poulet aux champignons noirs de chez Back on Lee.

Alors se résoudre à sortir, décider d'aller au comptoir, place des Repères, à cette heure-là retrouver les ouvriers de chez Saltel avant le coup d'envoi de la journée.

 Bah encore une déconvenue, le bar est clos pour cause de fuite de la cave, la bière dans le fût a  glissé jusqu'au trottoir et empêgue les souliers cirés.

Aller au bureau en tram, cette fois c'est le rose qui passe, le bleu a t'il donc changé de circuit? A la station ste Eulalie, qui n'est jamais affichée sur ma ligne je descends en courant pour modifier mon trajet qui doit s'adapter au changement du tramway bleu en récupérant le vert au carrefour de l'Angle mort, c'est alors que je remarque ma main droite vide.. mon attaché-case s'est détaché tout seul, est-ce dans le rose ou bien le vert? Zut! La perte de toutes les données confidentielles sur le projet de réaménagement des locaux de la gendarmerie (et plus particulièrement le coffre-fort  où seront stoquées armes et drogues) me provoque une iruption d'herpès à la lèvre supérieure! Je tombe sur le premier banc venu et je réfléchis en écrasant une fourmi qui transporte son butin près du pied en bois de pin: il me sera impossible de me présenter ainsi à la cantine de l'entreprise ce midi.

 

A mesure que les heures tournent sans parvenir à destination, je découvre un nouveau quartier en chantier et si loin de mon bureau que personne ne sait m'indiquer la direction à prendre.. Nord sud aïe je n'ai pas pris ma boussole. Les gens paraissent hésiter en me voyant en costume cravate, dans cette partie de la ville ils sont tous en short ou jupette de toile cirée et sentent l'ambre solaire, j'ai si froid moi, à la radio ils annoncaient même 10° pour la journée!

A force de marcher je commence à fatiguer, l'entrée d'un parc à proximité m'invite. La nature, c'est la meilleure des médecines pour vous rabibocher, ma tête me fait si mal, prise dans un étau, j'ai beau la secouer...

 Il y a un coiffeur installé au milieu d'une pelouse, il s'agit d'un simple tabouret derrière lequel il se tient debout, à sa ceinture une lame de rasoir, un plumeau noir, un torchon pendouille.

 Je suis assis parterre dans la queue de crânes touffus qui s'allonge serpentine. Au bout d'un long moment, d'ailleurs je ne le compte plus, c'est enfin mon tour! Je m'installe sur le tabouret, le coiffeur enchaîne sans me demander mon avis. Il  me rase comme un mouton tout en me pinçant le nez, puis me souffle dans les narines pour les regonfler, il me maintient ainsi par le menton ancré dans sa paume de rugbyman. Je me sens rougir. Quand je veux payer, je sors du chewingum de la poche, un fil du pantalon s'est accroché à mon alliance, je me retrouve en caleçon.

 

 Un cri strident résonne au moment où je veux m'enfuir, le sifflet flotte jusqu'à mon oreille. Obligé d'obtempérer, je marche à reculons, les pas sont minuscules.

Me voilà assis au tribunal face à Brigitte Bardot qui caresse un léopard tandis qu'elle trône sur le réquisitoire. Je suis accusé d'être un espion sans papiers et d'attentat à la pudeur, je dois me défendre mais je ne comprends pas leur langue qui s'agite à vive allure tandis que mes propres machoires se rétractent, aucun son ne sort.

Suite au verdict je suis enchainé au fond d'un cachot humide, l'air est irrespirable, je m'étouffe,

je crie au secours, la réponse est un jet d'injures par l'oeilleton de la porte barricadée, je fèce dans mon caleçon, ça coule le long de mes jambes, elles sont devenues si grêles! Moi le sportif de pentathlon n'ai plus que les os saillants sous ma peau verdâtre.

Le gardien après avoir déverouillé s'approche, il est si grand et je ne mesure plus qu'un mètre, je dois basculer ma tête en arrière pour le voir, il ricane. Je ne peux que lui opposer une voix de souris, je lui mordille la cheville et il se dégonfle. A mes petits pieds ne reste qu'une aiguille de pin!! Interloqué je la ramasse, la porte s'ébranle!!

 J'ai peur mais je m'enfonce dans le long souterrain qui s'offre à moi, il fait si noir! Un vol de chauves-souris macule mon crâne rasé, le magma me dégouline dans le cou puis s'agglutine sur mes épaules en châle, ça réchauffe!!

L'espace rétrécit, je dois maintenant ramper et progresse au ralenti. je ne distingue plus rien, pas un bruit, je me plante là aux aguets allongé dans l'eau morne et boueuse, serré entre les parois du boyau, ma poitrine en plis, afin de respirer encore.

 

«  Combien de temps? » Dans mon cerveau ces mots roulent, je n'arrive plus à  les contrôler, ils disparaissent et reviennent très fort en bourrasque! Où est mon corps, suis-je au paradis ou bien désincarné dans une fosse commune, est-ce que je peux bouger encore? Pas un pouce d'énergie ne me traverse, un enfer immobile?

«  Combien de temps? » Ça insiste, change de ton, s'éloigne et vient très près, en écho ou en cascade, je me raccroche à cette voix, qui me lève, me soulève, me fait trembler...

On me secoue je reçois une gifle on m'écrase on m'étouffe on me pince on m'étire suis-je une marionnette de théâtre, mes pupilles flageolent, une lueur, un parfum, je le connais, c'est du lilas, lilas lili c'est ma chérie, où çà? Je plante mes ongles dans la chair tendre de son avant-bras, une goutte de sang à mes lèvres, on relève ma tête mais oui j'en ai une, mais si lourde, enflée. Pourtant je n'éclate pas tandis qu'on me passe un gant mouillé sur le front, mon corps par morceaux s'éveille.

« Combien de temps? » Des voix, une autre voix plus grave, mon poignet, on le serre, je le sens!

«  Vous avez fait un infarctus, tout va bien maintenant, reposez-vous »

Du blanc, du blanc filtre derrière mes paupières, j'ai donc des yeux...

« Combien de temps? »Cette fois c'est bien moi qui me pose la question. On me répond: «   Ne bougez pas, je vais vous laver, serrez ma main, je vous retiens, agrippez-vous à mon bras mais ne me mordez pas cette fois! »

Combien de temps plus tard?

Une odeur de poulet... Belle-mère jacasse près de mon lit: « Mangez, ça va vous retaper » de sa voix haut perchée. J'ouvre les yeux, la lumière m'aveugle, on m'installe, un coussin dans le dos,  une purée sur la table roulante s'élance vers moi, et dérape dans la patte de la volaille, Lili/ Lilas sur le fauteuil à côté, sagement penchée sur un livre, se redresse, un sourire sur son visage se dessine, elle a le regard humide: « Alain tu reviens enfin! »

« Depuis combien de temps? »

 « Cela n'a pas d'importance, je t'aime tu sais! »

 

                                              

                                                                  chantal J

                                                                        

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