Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
16 juin 2021

La carte postale, par Chantal Joanny

« Il est une carte postale qui m'a suivie dans toutes mes pérégrinations, dans laquelle je suis rentrée, un jour heureux ». C'est ainsi que mamie Paulette me présenta la fameuse carte postale accrochée au-dessus de son lit, tachée, éculée aux quatre coins, punaisée et dépunaisée, scotchée et déscotchée, collante encore de poussières antiques. Un jour, la femme de ménage voulut la décrocher à nouveau pour la jeter trouvant que cela déparait sur le mur repeint. Mamie assoupie, se dressa alors sur le lit, les yeux furibonds, attrapa le poignet destructeur jusqu'à le tordre malgré son arthrose, jetant un « Vous ne comprenez rien ! », qui avait surpris, et vexé Madeleine. Celle-ci proprette et hygiéniste ne pouvait pas imaginer que dans cette carte postale une partie de vie était scellée, elle refoula en reculant son « vieille folle » qui cuisait dans ses lèvres pincées et son nez se mit à vibrer bruyamment. A la cuisine elle se vengea sur le service en cristal de bohême qui n'avait jamais autant brillé de mille feux, ce qui la consola.

 

Mamie se replongea aussitôt dans ses souvenirs.

C'était Claudie son amie des beaux-arts qui l'avait initiée. Partie en mission à l'autre du bout du monde pour un an, elle avait annoncé : « Je t'écrirai, promis », mais les mois s’étaient écoulés sans nouvelles. Elle n'y croyait plus lorsque dans la boîte aux lettres une simple carte l'avait interloquée, une calligraphie inconnue, le timbre, quelques mots esquissés d'une écriture si fine qu'elle dut prendre une loupe, et la signature, Claudie. Folle de joie, Paulette se mit à explorer la carte, un jardin de graviers pris en angle, une vue qui l'entraîna à fouiller et peu à peu à s'intéresser à ce pays lointain. L'histoire, les mœurs, la littérature, les arts si raffinés l'avaient envoûtée. Son amie de retour lui décrivit ses péripéties, donnant à son rêve des couleurs et des formes plus réalistes. La carte avait désormais présidé au-dessus de tous ses lits ses chambres ses amours, et même présidé à ce qu'elle ne put déceler à l'époque.

 

Puis un jour vint, le jour où, fantastique, elle fut assise là, contemplant le jardin de graviers exactement là où s’était tenu le photographe, celui de la carte postale. Elle connaissait l’angle parfait, les centimètres qu'il fallait respecter, le mur du fond en partie coupé, tous les détails qu'elle avait intégrés au fil de ses rêveries.

Elle sortit de son sac la fameuse carte et la compara, la posa à côté d'elle puis satisfaite, shoota le paysage.

 

Aléas du voyage : l'appareil photo n'avait pas fonctionné....

 

Mais il lui restait la carte qu'elle repunaisa au-dessus de son lit, fière et heureuse.

 

Quand mamie s'endormit, je repris la fameuse carte et partis à mon tour dans le paysage tant aimé. Aux graviers j'ajoutai un caillou, le rêve, une part d'elle....

 

                                                                                                 

chantal la carte postale (1)

                                                                                                                     Chantal Joanny

 

Publicité
Publicité
Commentaires
V
Merci Chantal pour ce texte très beau et touchant. Bises Vincent
Répondre
Publicité