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21 juin 2013

Chacun son destin, par Louis Portejoie

cannes_festival

            Je m'appelle Raymond, je suis employé au supermarché à Bidaux les courts, pas très loin de Vierzon, vous ne connaissez pas, c'est normal : j'ai repris ma place, j'ai humecté une serviette en papier de produit désinfectant, puis j'ai nettoyé le tapis roulant.

                Je suis fatigué, je reviens de loin, on me devait cinq jours de RTT, j'ai pris le train pour Cannes, avec mon sac à dos et ma tente à ouverture automatique. II m'a bien été utile, mon sac à dos, pas pour ce qu'il y avait dedans, mais parce que j'ai pu m'appuyer en position demi couché juste derrière les balustrades, avec vue imprenable sur le tapis rouge : j'ai attendu comme ça toute la nuit et tout la journée qui a suivi, d'autres étaient là, aussi.

                   Une fille m'a même adressé la parole, mais je n'avais pas grand chose à lui dire, alors elle s'est détournée et a disparu. J 'ai dormi, je crois, mais j'étais quand même un peu énervé : il y avait déjà foule le long des marches, puis ils sont arrivés, des robes, des smokings, des flashs, des cris. Ils se sont donné la main par vagues successives, puis ont monté les marches, en se retournant plusieurs fois dans tous les sens sous l'appel des journalistes. J'ai été surpris de ne pas reconnaître les stars : et les commentaires des habitués m'ont aidé : "  regarde : c'est Marion Cotillard

-Non, t'es sûre?

-Oui, je te dis que c'est elle ! 

-Regarde, c'est Spielberg ! Mais oui je de dis que c'est lui !"

                 Ça jasait dans tous les coins et je me suis aperçu que pour que mon admiration se mette en marche, il fallait que j'écoute les commentaires de la foule autour de moi : quand tout a été fini, j'ai du marcher longtemps pour trouver un coin pour dormir sur une plage loin de la croisette : j'ai vécu comme ça pendant quatre jours, j'ai croisé des actrices, des acteurs, que je ne reconnaissais pas mais qui devaient être célèbres, parce qu'ils étaient entourés d’admirateurs, et on leur demandait des autographes .

" Vous avez la carte de fidélité ?

-Euh, non !

-Pourquoi ne la prenez vous pas ? Elle est gratuite et à chaque achat vous gagnez des points, et au bout de mille point vous avez droit à une réduction de 10 euros par tranche de 1000 euros,  c'est intéressant non ? Qu'est ce que vous en pensez ?"

     Elle ressemble à Josiane Balasko, elle est de passage, elle n'est pas d'ici, donc la carte de fidélité, non merci :   je me demande si c'est pas Josiane Balasko elle même ! Elle semble gênée par mon regard insistant, et remplit son caddy, non ce n'est pas elle, de dos ce n'est pas elle.

     Aïe, ça sonne : merde j'ai oublié : mes yeux accrochent la pancarte sous la caisse : je lis juste à temps : "au revoir madame, bonne journée ", puis dans la foulée : " Bonjour madame, vous avez la carte de fidélité ?", ˮ  la caméra suit mes gestes, je suis filmé, comme les autres là bas !à cannes ; On va me remarquer, on va me convoquer : à  moi de jouer : 

               Je me tourne de trois quarts vers la caméra: je me redresse un peu, je fais glisser la pancarte : " client suivant " d'un geste énergique, un peu comme Charles Bronson avec les verres de whisky sur le comptoir de Daisy Town.

Je récite par cœur mon refrain mais quelque chose parle à ma place ! Omar Sharif est là: je  fixe le client suivant tout en jouant avec sa carte bleue, que je tourne et retourne dans ma main !

"  Vous n'avez pas la carte de fidélité,, au nom de la loi je vous arrête " 

Belmondo se retourne et affiche son plus beau sourire

" La carte de fidélité ? Mon cul !

Un autre client entasse des packs d'eau minérale, j'ai beau lui signaler qu'il doit les laisser dans le caddy, rien n'y fait, je vais devoir soulever et porter des  paquets de dix kilos ! Je prends mon air ironique, je me lève, j'enfonce mes mains dans mes poches, je monte sur le tapis roulant, je toise le client façon Jean Gabin et je lui lance :

" Si on mettait tous le cons sur orbite t'aurais pas fini de tourner "

           Le directeur arrive en courant : ce doit être un producteur, ou un metteur en scène. On me prend par les deux bras, on me porte jusqu'à la sortie et on me propulse en dehors  du magasin: j'ai compris, je suis viré ! C'est surement un signe du destin, je n'étais pas fait pour être caissier !

 

 

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