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24 mars 2015

Le canapé jaune (2), par Nyckie Alause

 

 

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Ce matin le froid ma réveillée. Et le sifflement de la balayeuse sur la place. Et la lumière crue de ce matin dautomne qui sengouffre par la fenêtre grande ouverte. Jai mal dormi. Mon dos grince de toutes ses vertèbres et, comme une femme de marin, je rejoins le balcon pour regarder au loin. Mon ancien compagnon est là en bas, rutilant comme un bateau neuf fraîchement sorti du chantier naval, jaune et rebondi, un appel à la douceur dans cette lumière matinale. Je crois que je lui ai souri et fait un petit signe avant de rentrer. Je vaque à mes occupations. Cest à dire que je fais couler un pot entier de café pendant que le pain embaume la pièce en grillant dans le toasteur. Le bureau me sert aussi de table pour le petit déjeuner. Je fais particulièrement attention de ne pas mettre de miettes sur mon clavier.

Ce matin, la boîte mail ne me fournit aucun réconfort. Quoique. Une proposition de remise de 50% sur les meubles de salon et jusqu’à 60% sur les convertibles. Alors que je mapprête à cliquer, la sonnerie de mon téléphone coupe mon élan. Cest le bureau.

Je vous lenvoie par mail avant midi, promis!

Comme je lai dit à mon collègue, je le fais : je ferme les fenêtres (les deux battants de lunique porte-fenêtre) pour me coller à l’écran et terminer ce satané dossier.

Avant de me quitter, plusieurs fois, Lucio ma accusé de préférer mes dossiers et mon travail à la vie. « La vraie vie ! Celle dont on dit quelle est sociale. Celle qui nous entraîne hors de nos murs. Celle où lon parle à des gens, même si on ne les connaît pas…».

Ma concentration, après cet intermède introspectif, est intacte. Dans cette pièce vide qui est aussi ma maison, je suis efficace et performante sauf que, au moment denvoyer la pièce jointe jai une hésitation. Imprimer dabord, garder une trace, prudence Une hésitation, cest comme du sucre qui sintroduit dans un mécanisme de montre. Les rouages, les cliquets, les engrenages, coincent et se bousculent, les aiguilles se tordent de désappointement. Le chemin qui semblait droit devient sinueux. Limprimante, nouvelle Enigma, clignote et affiche un code obscur. Les feuilles vierges se couvrent de chiffres quun service despionnage de lEst ou de lOuest narriverait pas à décoder. Le temps saccélère, le futur rattrape le passé et vice-versa. Quelque chose, comme une bouffée dangoisse envahit lespace et le temps en appuyant sur ma poitrine à me faire perdre le souffle. Jarrache la clef plantée dans la tour de mon ordinateur, jen passe le cordon autour de mon cou, amulette moderne, et je me précipite sur la terrasse en ouvrant à la volée cette lourde huisserie qui misole de lair et du bruit du dehors. Cest à grandes goulées que je laspire cet air bruyant et doux de fin de matinée, chargé des odeurs de pommes et de vendanges des étals de fruits installés sur la place.

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