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22 juillet 2016

Réminiscences, par Sylvie Albert

Piste d’écriture : composer des haikus en s’inspirant des exemples fournis OU introduire du texte – prose ou poème – entre les haikus proposés, en racontant l’histoire qu’ils nous inspirent.

 

Réminiscences

matin d’été,

notre rendez-vous

sur une place fraîche[1]

Je m’en souviens comme si c’était hier. Deux gamins – à 20 ans, on est toujours des gamins – rougissants et balbutiants. Ce n’était pas notre premier rendez-vous amoureux, ni à l’un ni à l’autre, mais nous sentions au fond de nous que c’était le premier de cette importance. Le premier qui allait nous entraîner, sans filet, vers un futur incertain, semé d’embûches, mais que nous aurions la force d’affronter, enfin. Car nous serions deux.

 

            dans le silence

            et dans la nuit

            tout est chemin[2]

La découverte de « nous », nos premières nuits, nos premières vacances ensemble et bientôt notre exil loin du village… Nous n’avions pas le choix, il fallait bien avancer. Par la suite, nos balbutiements, puis nos épanouissements professionnels, toi en tant que styliste et moi écrivain. Et ton ascension dans le milieu de la mode tandis que j’avais de plus en plus besoin de toi… Tout cela, je le revis maintenant. Avec tour à tour bonheur et souffrance.

 

            L’été passe.

            Je soulève un store

je ne regarde rien.[3]

Je ne vois pas ce qui se passe dehors. De la pluie de juin[4], des feuilles de lotus dans l’étang, des nappes de papier blanc qui s’envolent sur la table, du monastère penché là-haut sur la colline, je ne distingue rien. Volets clos, je vois juste défiler ma vie, notre vie, j’entends un vieux silence qui monte dans les saules. Plus rien n’a de saveur ni d’odeur. Il est trop tard.

 

            ce matin

            le silence des oiseaux

            comme s’ils savaient…[5]

Ce matin-là, dix ans après notre premier rendez-vous, pourra t-il un jour s’effacer de ma mémoire, avant que je ne disparaisse moi-même ? Ce matin où je me suis retrouvé debout devant une fosse, complètement perdu sans toi, épuisé d’avoir déjà tant pleuré, pressé par tes parents d’accélérer mes adieux. Tes parents, qui n’ont jamais accepté notre relation, qui ne t’ont jamais accepté, toi, comme tu étais.

 

derrière

tous les faux semblants,

la délivrance

Un fils homosexuel quand on est le notaire du village, cela ne passe pas. Et si en plus il ne trouve pas de métier plus « viril » que celui de styliste, il ne reste qu’une solution : couper les ponts.

Tu n’as pas supporté ce rejet. Tout comme tu n’as pas supporté que je te refuse l’adoption d’un enfant, au travers duquel tu aurais pu reconstruire une partie de ton identité.

Par notre bêtise, notre incompréhension, nous t’avons tué.

 

            Les saisons passent

            Effluves du passé

            Tu ne reviendras plus.

 

 

 

Juillet 2016

           



[1] Haiku tiré du livre « Juste la douceur du vent, haiku » de Christian Cosberg (2016, Eds Tapuscrits).

[2] idem

[3] Haiku de Nakamura Teijo.

[4] Les mots en italique sont des extraits de haikus de Christian Cosberg et de Masaoka Shiki.

[5] Haiku tiré du livre « Juste la douceur du vent, haiku » de Christian Cosberg (2016, Eds Tapuscrits).

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