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9 janvier 2018

Quelle journée! par Sylvie

totemorque

 

Piste d’écriture : utiliser un ou plusieurs début(s) de nouvelles proposé(s) pour développer une histoire. 

Quelle journée !

            Il est six heures. La lumière du jour s’infiltre déjà dans la chambre, suffisamment pour distinguer le lit, une forme allongée dedans, et une longue silhouette debout à côté[1]. Ma présence en tant que spectateur de cette scène n’est pas fortuite, la raison en est même double : j’habite un étage plus haut, et je suis inspecteur de police. Alors la concierge n’a pas hésité une seconde à venir me réveiller lorsqu’elle a entendu un « boucan du diable », selon ses propres mots, vers 5 heures du matin, suivi d’une cavalcade dans les escaliers. Le temps de saisir son courage à deux mains, d’enfiler son peignoir et de monter me chercher, nous voilà, dans le petit matin blême, au cœur de cet appartement dont elle m’a obligeamment ouvert la porte. Car celle-ci était fermée à clé, mais personne n’a répondu à notre coup de sonnette.

Donc, résumons-nous : dans une chambre, un lit, une forme allongée dedans, une longue silhouette debout à côté, toutes les deux immobiles, un inspecteur hirsute en survêtement et une concierge non moins hirsute en peignoir éponge orange délavé. Sans oublier une porte d’entrée ouverte de manière illégale.

Autant assumer cette situation absurde jusqu’au bout, me dis-je en m’approchant de la longue silhouette.

- Monsieur… madame... Vous m’entendez ?

Pas de réponse. Je m’approche un peu plus, tends la main et touche… du bois. Ce qui est déjà un heureux présage pour le reste de la journée, pensé-je in petto. En fait, cette silhouette s’avère être un totem, comme je le constate à la lumière du jour qui se fait plus perçante. À peine de retour de deux mois passés au Canada pour une enquête délicate, j’identifie sans peine ce totem comme provenant des Premières Nations amérindiennes, avec son entrelacement de formes humaines, de queue de castor et de représentations de la « baleine tueuse », ou autrement dit l’orque. Cela me semble tout de même étrange que ces symboles aient atterri en plein Paris ! Je m’avance alors vers la forme allongée, qui vu l’état de son crâne ne pouvait de façon évidente pas répondre à notre coup de sonnette. Tout un côté de la tête est enfoncé, et l’autre permet de constater combien la dame a dû être une beauté. Cette vision me réveille tout à fait, j’appelle ma brigade, le médecin légiste et tout le saint-frusquin. J’ai à peine le temps de revêtir une tenue plus conforme à mon grade que l’intégralité de ce petit monde est là et s’agite dans tous les sens.

Donc, résumons-nous : un appartement de l’avenue de Clichy plein de flics et de personnes en blouse blanche, tous les habitants de l’immeuble sur le palier derrière la concierge, une dame sacrément esquintée, et un totem tout ce qu’il y a de plus ancestral, qui n’est visiblement pas l’arme du crime. Et ajoutons à cela l’absence de traces d’effraction…

            Bon, cela commence bien… Le point positif, si l’on peut dire, c’est qu’au moins le cadavre correspond au corps de la propriétaire des lieux. Celle-ci a des enfants et une femme de ménage, on sait déjà ainsi où trouver les trousseaux de clés existants et on peut démarrer l’enquête en partant de là. La journée se passe comme toutes les journées d’enquête. J’envoie une équipe prévenir et interroger les enfants, une autre chez la femme de ménage, et ordonne la fouille de l’appartement de la concierge, on ne sait jamais. Sans oublier l’interrogatoire de l’ex-mari, car la victime reposait, si l’on peut dire de nouveau, sur un matelas « doré » fort confortable. Petit à petit, mes collègues reviennent avec des informations intéressantes, les indices s’accumulent. À l’heure du déjeuner, nous commençons à avoir une idée assez nette de ce qui a pu se passer.

Donc, résumons-nous : une dame friquée qui avait des amants plus jeunes et dépensait avec eux pas mal d’argent, un ex-mari qui tire plutôt le diable par la queue, la nouvelle compagne de ce dernier qui jalouse la dame depuis toujours… et qui est étonnamment d’origine amérindienne !

            Il ne nous a pas fallu bien longtemps pour trouver le potentiel mobile du crime, mais un peu plus de temps pour en trouver l’arme, soigneusement enterrée dans le jardin. Les aveux n’ont ensuite pas été longs à venir.

Donc, en conclusion : un « crime passionnel » impliquant deux femmes qui se haïssaient, à tel point que la criminelle n’a pas hésité à laisser sur place un indice l’accusant afin de s’assurer que l’âme de la victime ne connaîtra pas le repos. Eh oui, c’est bien le sens de la présence du totem…

            Finalement, affaire résolue avant la fin de la journée. J’avale un sandwich au bar en bas du commissariat puis m’attèle à la rédaction de mon rapport. Ainsi qu’au remplissage de divers formulaires en attente. Car c’est curieux comme rien n’avance quand on n’est pas là pour s’en occuper… Vingt-deux heures. Les dossiers en cours sont bouclés. Je m’étire, le regard perdu dans le vide. La nuit est tombée d’un coup sur la ville, noire[2]. Et je me demande quels forfaits vont encore être commis pendant les heures qui viennent, quelles mauvaises surprises je vais trouver au matin. Ma vie est bien singulière…



[1] Le Seuil (variation sur free Bird), Scarlett Allainguillaume, id.

[2] 35, Amandine Bellet, in Douze cordes, 12 nouvelles musicales, éd. Antidata, 2013

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