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15 juin 2021

Filer à l'anglaise, de Corinne Christol-Banos

« Filer à l’anglaise ! » 

  

« Mes amis, je vais vous conter une folle histoire qui m’est arrivée… »

 

Lucia s’installa confortablement face à son auditoire attentif et commença son récit :

 

« Lorsque je suis née, j’étais unicolore et mes ailes émettaient un bruit très doux de ventilateur à main que l’on achète dans les magasins de bric et de broc. Ornella, ma mère, riait chaque fois qu’elle entendait ce son et chantonnait à qui voulait l’entendre :

 

- Mon petit ange vole !

 

Lorsque mon premier point est apparu sur mon dos, je folâtrai autour des membres de ma communauté de manière à ce que les autres le voient car j’en étais très fière !

 

Puis j’ai grandi et tous se sont matérialisés à leur guise, au fil des semaines. Je suis devenue rouge grenadine avec sur mon dos cinq petits points noirs.

 

Je volète beaucoup. Mon père affirme que je suis une « voleteuse infatigable ». Depuis le jour de mon premier envol, je ne cesse de parcourir les champs et les prés, les antennes toujours en alerte, dressées, à la recherche de nouvelles senteurs, de nouveaux parfums, qui m’exaltent et me procurent une joie extraordinaire.

 

Ce matin-là, il faisait particulièrement beau. Un temps de printemps comme je les aime, doux, calme, auréolé d’une brise bienfaisante avec laquelle je jouai au gré des vagues aériennes qui me permettaient de surfer en planant le plus longtemps possible sur cette manne inespérée.

 

Je me posai sur ma fleur préférée, un tournesol, et je m’abrutis de son parfum jusqu’à l’enivrement. Je m’assoupis en entendant le bruit des vols de mes congénères et celui plus puissant des bourdons et des abeilles.

 

Je ne sais combien d’heures se sont écoulées lorsque j’émergeai d’une sieste bienvenue. Je m’ébrouais pour remettre de l’ordre dans mes ailes, vérifiant leur fonctionnalité, lorsque l’ombre immense d’un humain me tétanisa. Elle recouvrait entièrement ma fleur et je sentis plus que je vis, l’humain se pencher vers moi. Je restai sans bouger, espérant que cet intrus passerait son chemin. Je me ratatinai davantage encore entre les pétales du tournesol et pensai très fort :

 

« Pars ! »

 

- Je t’entends, petite coccinelle !

 

Les mots pénétrèrent mon corps, résonnèrent jusqu’à l’effroi au fin fond de mon squelette. Mes ailes se mirent en trembler et j’ouvris péniblement un œil, puis les deux afin de regarder d’où provenait cette voix.

 

À ma grande surprise, un petit humain en robe rose avec des papillons colorés sur le devant me regardait en souriant. Il s’abaissa jusqu’à ce que son nez soit au même niveau que moi. Deux yeux d’un intense marron me fixaient, et je remarquai même le blanc exceptionnel des dents qui apparaissaient à chacun de ses sourires.

 

Me sentant plus en confiance, je libérai mes ailes que j’avais caché sous moi et me tournai vers l’intrus pour mieux l’observer.

 

- Tu m’entends ? Demandai-je surprise.

- Oui très bien.

- Comment est-ce possible ? Tu as déjà entendu d’autres coccinelles ?

- Non, c’est la première fois.

 

Malgré cette réponse étonnante, le petit humain ne semblait pas déstabilisé alors que pour moi, ces mots faisaient l’effet d’une bombe !

 

- Tu entends vraiment tout ce que je pense ? redemandai-je ébahie.

- Absolument tout.

 

Le petit humain attrapa sa robe rose avec les papillons colorés sur le devant et en un mouvement gracieux s’assit sur l’herbe humide. Moi, qui espérais le voir s’en aller très vite !

 

- Comment t’appelles-tu petite coccinelle ?

- Lucia. Et toi ?

- Maria.

- Tes parents ne s’inquiètent pas lorsque tu t’éloignes de chez toi ?

- Non, pourquoi ?

- Les miens sont affolés si je reste trop longtemps dans les prés.

- Tu as quel âge Lucia ?

 

Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire de connaître mon âge ? Savait-elle au moins combien de temps vivait une coccinelle ? Je n’avais qu’une envie, partir !

 

- Pourquoi cela t’intéresse ?

- Je voulais savoir si tu accepterais de venir chez moi, dans mon jardin.

 

D’émotion, je tombai sur mes pattes arrière et me retrouvai les pattes avant en l’air. Je la contemplai d’un air ahuri, comprenant soudain son intérêt à mon égard.

 

Je calculai mentalement la vitesse à laquelle voler pour arriver le plus vite possible auprès de ma famille.

 

- Pourquoi tu veux partir ?

 

Bouleversée, je l’ignorai. J’avais oublié qu’elle pouvait entendre toutes mes pensées.

 

- Je ne te ferais aucun mal, j’ai des pucerons sur les roses de mon jardin et une petite coccinelle comme toi m’aiderait bien à les combattre !

- Non, non, merci. Je veux rentrer près des miens…

- Mais tu serais bien avec moi, je prendrais soin de toi tu sais…

- NON !

 

Ma réponse avait fusé avec violence, j’espérai qu’elle l’entendrait et me laisserait tranquille.

 

Je me concentrai, espérant transmettre par la pensée à mes parents, mon désarroi afin qu’ils viennent très vite à mon secours.

 

- Pourquoi appelles-tu tes parents ? Je t’assure que je ne te veux aucun mal !

 

Je fermai obstinément mes yeux, suffocante et désespérée. Elle entendait toutes mes paroles, tous mes désirs. Comment allais-je faire pour lui échapper sans qu’elle l’anticipe ?

 

Discrètement, refusant de lui répondre et de la regarder, je reculai pas à pas afin de gagner le bord du tournesol. De là, je souhaitais me laisser tomber au sol de manière à ce qu’elle ne me voie plus. Tout cela traversait mon cerveau d’insecte à la vitesse de la lumière.

 

- Ne penses pas si vite, petite coccinelle, je n’arrive plus à t’entendre correctement. Le ton geignard qu’elle employa pour me parler me rasséréna, mon plan fonctionnait, j’allais pouvoir filer à l’anglaise.

 

Un petit pas, puis un autre, le petit humain ne se rendait pas compte de ma manœuvre. Subitement, je me trouvai dans le vide et me laissai choir avec délectation dans l’herbe haute qui m’accueillit avec douceur.

 

- Petite coccinelle, où es-tu ?

 

Le petit humain fouillait l’herbe à ma recherche. Je me fis encore plus petite que je ne l’étais et disparus à ses yeux jusqu’à ce que, lassée, elle interrompe ses recherches et rentre chez elle.

 

Ouf ! J’avais eu chaud ! Que serai-je devenue si elle m’avait attrapée ?

 

Soulagée, je pris mon envol, heureuse de rentrer chez moi. Mais mon vol fut stoppé net par un autre danger bien plus cruel. Deux gros yeux globuleux me fixaient. J’eus le temps d’apercevoir la couleur verte de ma prédatrice, ses grandes pattes agrémentées de poils, avant que ses mandibules ne m’attrapent pour me dévorer.

 

Ce fut ma dernière image jusqu’à ce que je me réveille parmi vous mes amis, en ce lieu magique où toutes les coccinelles du monde entier viennent folâtrer dans les prés de ce paradis éternel ! »

 

 

 

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