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12 février 2022

En coopération, par Bernard Delzons

Piste d’écriture : raconter une ou des rencontres, et leur contexte.

skikdaLe bateau nous avait débarqués, trois jours plus tôt, dans le port d’Alger, et nous avions alors été pris en charge par les services de l’ambassade de France qui nous ont donné les dernières consignes, avant de nous lâcher dans ce vaste pays aux traditions si différentes des nôtres. Il y avait les règles administratives à connaître, les précautions d’hygiène alimentaire à respecter pour nos fragiles estomacs, et surtout les recommandations de ne pas nous immiscer dans les affaires du pays. On pourrait ajouter, le comportement à avoir avec la population féminine. C’était en 1974, plus d’une dizaine d’années après l’indépendance. Nous arrivions en tant que coopérants pour servir ce pays, mais nous ne savions pas encore ce qui nous attendait.

Nous étions quatre, allant vers la même destination, à savoir Skikda, une ville de l’est algérien. Seul Gilles, le beau gosse aux yeux bleus, possédait une voiture et nous aurions pu espérer qu’il la partagerait avec nous, mais il préféra affronter seul le long voyage qui nous séparait de notre destination. Inutile de dire que nous l’avons mal pris sur le moment, mais le personnage était bien moins affreux que nous avions pu l’imaginer à ce moment là.

Sur le bateau, nous avions, les uns et les autres, sympathisé avec d’autres voyageurs, mais curieusement, pas avec ceux qui partaient vers l’Est.

Le premier bus qui pourrait nous amener dans cette ville, mystérieuse pour nous, ne partirait que dans la matinée du lendemain. Consciencieusement nous avions utilisé le nom algérien de la ville pour nous renseigner, mais c’est bien le nom français, « Philippeville », que l’employé prononça en nous donnant nos billets.

Au restaurant de l’hôtel miteux où nous avions trouvé une chambre pour la nuit, nous avons fait connaissance.

Rémy était breton, fils d’agriculteur, il venait de terminer ses études supérieures à l’école de Purpan de Toulouse. Daniel, bien que français, avait fait ses études d’ingénieur en Belgique, il était marié et sa femme viendrait bientôt le rejoindre lorsqu’il serait installé. Moi-même je sortais d’une école de commerce. Nous allions dans un lycée agricole spécialisé dans les problèmes d’irrigation. Je me demandais bien ce que j’allais pouvoir y faire, rien ne correspondait à mes études dans ce qu’il y aurait à enseigner.

Finalement Daniel partit avec un couple qui lui avait proposé une place dans leur voiture. Nous les avions rencontrés dans l’après-midi et découvert, alors seulement, qu’ils allaient au même endroit que nous, il est vrai que nous étions plus d’une centaine sur le bateau. A cause de ses accointances avec la Belgique nous avions, avec Rémy, surnommé Daniel « Léonidas », qui serait transformé rapidement en « Nidas » au lycée.

 

Je ne raconterai pas le voyage, plein de surprises qui nous amena vers notre destination. Pourtant, il y aurait tant de choses à décrire, les arbres avec leurs feuilles en février, la saleté des arrêts de bus, la pauvreté générale, les gamins qui s’égosillaient pour vendre leurs cacahuètes ou autres petits en-cas, les paysages si différents des nôtres et qui changeaient selon qu’on était sur les hauts plateaux ou près de la mer. Il faut bien avouer aussi le mélange de fascination et d’inquiétude qui me submergea pendant ce voyage et ensuite, pendant les premiers jours de mon séjour là-bas.

Je ne parlerai pas non plus de notre surprise en découvrant que l’école se trouvait à une dizaine de kilomètres de la ville. Il fallut prendre un taxi. Il y en avait des noirs et rouges, mais aussi des bleus. Bien entendu nous avons demandé à ceux qui paraissaient les plus confortables. Grosse erreur ! seuls les bleus desservaient les villages de proximité, les autres assuraient les liaisons avec les grandes villes.

Il faudrait encore raconter l’émoi du garde barrière en découvrant qui nous étions. En un instant le téléphone arabe se mit en route, et toute l’école sut que de nouveaux professeurs étaient arrivés quand nous avons remonté l’allée de palmiers vers les bureaux de l’administration de l’école.

 

Nous avons été reçus par le directeur, un homme sévère et peu chaleureux, heureusement il était accompagné par une Française, sa secrétaire, qui avait fait le choix de rester dans ce pays. Elle nous a accueillis comme ses propres enfants. On nous proposa de nous loger dans l’école elle-même, au milieu des élèves et des autres professeurs, ou bien dans des petites maisons dans le vaste terrain qu’occupait le lycée, rempli d’orangers, de mandariniers et d’une sorte de noyer, le pacanier.

Je me retrouvai ainsi dans une sorte de studio découpé en trois parties non fermées. Un coin cuisine, un coin salon et un coin chambre. Je devrais partager douche et toilettes avec un studio mitoyen, accessible seulement par l’extérieur. Ce n’était pas le grand luxe.

Do (do ré mi…), c’est ainsi qu’on appellerait Rémy pendant notre séjour, devait s’installer dans une chambre d’une maison plus grande (deux chambres, un séjour, cuisine et salle de bain) et mieux agencée ; mais il aurait dû partager la maison avec Nidas et sa femme, et il comprit à l’instant même où il y pénétra qu’il n’y serait pas le bienvenu, ses affaires avaient été déplacées sans qu’on lui demande quoique ce soit et déposées par terre sans aucun soin. On découvrit plus tard que cette jeune femme était une esthéticienne assez sophistiquée, et très regardante sur l’ordre et la propreté !

Quand je le vis arriver dans mon refuge, la mine si contrariée, je lui proposai de le partager avec moi, après avoir écouté son récit. Son sourire, plein de reconnaissance, fut sa réponse. Moi j’avais rompu mon isolement dans ce nouveau monde inconnu et inquiétant, lui avait trouvé un nid. Ce jour-là une amitié était née, et qu’il n’y eut jamais aucune anicroche pendant toute la durée de notre séjour. Nous étions très différents, mais complémentaires.

Dans les jours qui ont suivi, à l’aide de bambous et de couvertures tissées et colorées, nous avons cloisonné l’espace couchage pour avoir chacun un coin à soi. Entre les deux, nous avions ménagé un espace qui nous servit un temps de salle à manger quand nous recevions les copains. Il fallait, alors démonter les portes des placards, qui mises sur tréteaux, nous servaient de table…

Quelques semaines plus tard, un condisciple de Do à Purpan, arrivé plus tard, je ne sais plus pourquoi, lui proposa de le rejoindre dans un appartement en ville. Do préféra rester avec moi dans ce local tout étriqué, sans doute en partie parce que, sans voiture, il aurait été trop dépendant de son camarade.

 

J’ai presque regretté ce petit coin de rien du tout, quand nous avons immigré vers la maison où DO aurait dû aller le premier jour : ses occupants, Nidas et sa femme, l’avaient délaissée pour une autre, plus grande. Bien que nous ayons alors, l’un et l’autre, ramené une voiture de France, nous sommes restés ensemble dans cette maison devenue le centre de ralliement de tous les célibataires du groupe de coopérants.

Do est reparti avant moi de cette Algérie que nous avions appris à connaître, Il était pressé de retrouver sa chérie qui l’attendait en Bretagne. Avant de regagner la France, j’ai pour ma part entrepris un périple au Mali, avec le beau gosse du premier jour ! Cette aventure de voyage en stop payant me fascina longtemps.

 

Une bonne année après notre retour, je passai quelques jours en Bretagne et j’allai jusqu’à Perros-Guirec, l’endroit d’où venait Do. Je n’avais pas son adresse et n’avais quasiment aucune chance de le retrouver. Pourtant, alors que je faisais le plein, une voiture s’arrêta et j’entendis « Loga, qu’est-ce que tu fais là ? » C’étaient les parents de Do. Ils étaient venus nous rendre visite en Algérie et me connaissaient donc.

« Loga » c’était le surnom que les élèves m’avaient donné après que je m’étais sorti d’une question pernicieuse de l’un d’entre eux sur les logarithmes. Il devint quasiment officiel quand la secrétaire me présenta à la femme du directeur sous ce nom, soufflé, je n’en doute pas par un de ces élèves que j’avais fini par apprivoiser.

Les parents de Do m’ont emmené chez eux où j’ai retrouvé mon ami, ses sept sœurs et sa fiancée. Quelle belle journée ce fut !

 

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