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28 novembre 2010

Sphères... épisode 4 partie 1, par Paul Lilin

Vous trouverez les épisodes précédents dans la rubrique Sphères.

Chapitre 4 : CA COMMENCE !

Le village de Murlay-sur-Monts était situé de l’autre côté de la frontière avec l’Osturie. Comme le rappela inutilement Andrik à son élève, le pays, qui s’étendait sur la côte nord du continent méridional, avait pour particularité d’être divisé en trois régions bien distinctes et qui tenaient à le rester. Celle dans laquelle se trouvait le village était la plus à l’ouest, elle comprenait tout le massif montagneux et les terres jusqu’à la lisière de la forêt. Elle se nommait La Montagneuse ; les deux autres étaient La Pointue et La Forestière.

***

Andrik et son élève avaient choisi comme moyen de transport une voiture à moteur Sphérique, ce qui ne signifiait pas que le moteur avait une forme arrondie mais qu’il fonctionnait grâce à une Sphère placée sur le côté (afin de recevoir les rayons du soleil par le biais d’un ou deux miroirs). Comme cette région de l’Osturie entretenait de bonnes relations avec la région de LinateVille, les routes entre les deux pays étaient bien entretenues. C’était une bonne chose, car Andrik avait terminé seul la bouteille de la veille et que les arbres ne sont pas très amicaux, même quand on a une gueule de bois.

 

Finalement, une heure ou deux après leur départ, Nath et son professeur étaient au poste de garde. Ils montrèrent leurs papiers (surtout Andrik, car Nath n’en avait pas beaucoup) et purent passer après une dizaine de minutes d’attente. Le paysage, réveillé après une longue sieste de platitude, commença à se vallonner. La route faisait des tours et des détours et l’adolescent aurait eu bien du mal à se repérer dans ces collines, qui semblaient toutes identiques sous la froide lumière du soleil.

Celui-ci atteignait midi quand, à un tournant, un groupe d’hommes musclés et très grands mais d’apparence douteuse, surgit. Ils étaient vêtus de gilets de cuir noir qui partaient en morceaux, que complétaient des chapeaux informes et des pantalons larges aux couleurs délavées.

 

Ils s’étaient installés en travers de la route, de grands couteaux accrochés à leurs ceintures et pour la plupart assis ou accoudés à leurs engins, des véhicules à trois roues et deux « têtes » qui paraissaient aussi dépenaillés qu’eux et fonctionnaient grâce à des moteurs Sphériques apparemment bricolés. Le plus petit, qui tenait à la main un étrange appareil émettant des *bip*bip* à intervalles réguliers, était campé devant ses camarades.

Agé d’une trentaine d’années, il se démarquait des autres par une chemise vert foncé sous un blouson de cuir en assez bon état, comme s’il ne savait pas trop comment s’y prendre pour se fondre dans le groupe qu’il aurait eu besoin de cours. De plus, son visage jovial, sa stature rondouillarde, sa voix qu’on devinait semblable à la lente avancée d’un épluche-légume sur une patate en mal d’amour – alors que ses camarades échangeaient des blagues salaces en agitant leurs coupe-choux et autres gourdins – le différenciaient encore de la bande.

 

Il prit la parole d’une voix effectivement traînante :

- On veut vos Bouboules. Vous z’êtes pas au courant ? ajouta-t-il devant l’air interloqué d’Andrik. On en a marre de fouiller votre foutue rivière, de creuser dans vot’ foutue mine pour vous r’donner l’tiers d’nos trouvailles. Alors on les prend à la fin de leur parcours, les fameuses bouboules. Dans vos poches. Vos jolis bijoux.

- Z’avez des objections ? demanda-t-il en regardant son appareil tout en remettant ses lunettes en place. On dirait qu’vous en avez beaucoup, des Bouboules…

- Assez pour nous défendre, rétorqua Andrik, dont les Sphères brillaient fortement.

- Mais oui… C’est ce que vous croyez. C’est ce qu’ils croient tous, enfin, ceux qui n’s’évanouissent pas. Euh, qu’ils pourront se défendre, euh, je veux dire, hum

(Sa voix était tellement descendue après sa dernière hésitation qu’Andrik avait eu du mal à l’entendre. Nath se dit que ce type n’était pas très naturel.)

- Mais vouloir utiliser vos Bouboules pour ça, dit-il en rehaussant le ton, c’est encore plus crétin. Allez-y, fit-il aux autres, qui avaient continué de murmurer et de partir dans de désagréables rires méchants.

Ils commencèrent lentement à former un cercle autour de la voiture. L’orateur sortit de sa sacoche une petite boite noire. Il l’ouvrit et saisit la bille de couleur vert sombre qu’elle renfermait, avant de siffler brièvement, donnant le signal.

 

Nath, fasciné par le personnage (il lui faisait penser à un mélange de méchant des romans médiévaux et de brigand justicier de ses livres pour enfants), ne le quittait pas des yeux. En fait, il se sentait comme détaché de la situation, doutant un peu d’y être vraiment, plutôt comme si une voix inaudible lui racontait ce qui se passait. Pourtant, il lui semblait voir chaque détail avec plus d’acuité, comme si on les lui désignait : la démarche des bandits montrait qu’ils dépendaient de leur chef, et leurs regards lui apprenaient qu’ils ne le comprenaient pas vraiment, comme si tout en les dirigeant, celui-ci restait en dehors du groupe. En l’examinant, Nath fut arrêté par les expressions de son visage : il méprisait ces brigands, il se voulait mieux qu’eux et le rôle qu’il jouait ne lui convenait pas. Toutefois, il était agité de tics nerveux ; ses yeux fixaient avec un mélange de peur et d’envie les Sphères scintillantes qu’arborait Andrik.

 

Ce fut son détachement qui permit à l’élève de ne pas être distrait par les cris et autres agitations des malfrats, qui réclamaient les Sphères, ce à quoi Andrik répondit depuis la voiture par un beau bras d’honneur. Nath fixait le chef, et quand celui-ci lança discrètement la bille qu’il avait sortie, il la suivit des yeux. Elle arriva jusqu’aux roues du véhicule. Au moment même où elle les atteignit, les Bouboules d’Andrik, qui n’avaient pas arrêté de s’illuminer férocement, s’éteignirent subitement en grésillant. En réponse, leurs assaillants chargèrent. Andrik n’en menait pas large. Il essaya de faire démarrer la voiture, qui refusa.

 

Son état aidant, Nath comprit rapidement – ou l’étrange voix lui fit comprendre – que la bille était la cause de cette panne. Il ouvrit la portière et bondit aux pieds de la voiture au moment où les bandits brandissaient leurs armes, la saisit – elle grésilla à son toucher – et la lança au loin. Il constata alors que l’herbe avait pris une teinte rousse là où ce qui ressemblait à une Sphère avait atterri : ce nouveau type de Bouboule tuait la végétation.

 

Les Sphères d’Andrik s’étaient rallumées et Nath sauta dans la voiture, qui pouvait maintenant rouler. Mais son professeur en décida autrement. Il sortit du véhicule et posa tranquillement son couteau sur le capot. Les brigands formèrent un cercle autour de lui avec suspicion, mais il ne se démonta pas. Le premier qui essaya de lui asséner un coup de gourdin vit – et sentit – ledit gourdin lui rentrer dans la tête, et idem pour les suivants. Les coups de couteau n’eurent pas plus d’effet ; les Sphères répulsives d’Andrik étaient à présent au meilleur de leur forme, le soleil brillait sur les collines.

 

Nath regarda au-dessus du groupe et vit le chef reculer vers les étranges véhicules, qui ressemblaient à une moto à laquelle on aurait greffé une voiture pour enfant. Il saisit le couteau d’Andrik et courut vers le petit homme, devant lequel il agita sa lame pour le faire reculer. Le brigand n’en menait pas large ; l’adolescent planta alors l’arme dans une des roues. Tout en continuant à faire face à son adversaire pour le tenir sous la menace, il lacéra les pneus des autres véhicules, tandis que son professeur donnait une raclée à ceux qui essayaient encore de le frapper.

Finalement, Andrik récupéra un gourdin et, nonobstant sa maladresse naturelle, il assomma presque proprement ses assaillants encore valides.

 

« Mes Bouboules vont avoir besoin de repos et de beaucoup de soleil, maintenant, fit le combattant improvisé. Elles ont vidé toutes leurs réserves. »

Il se tourna vers le chef : « T’es encore là, toi ? On va faire connaissance alors. C’est quoi ton nom ? »

 

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