Transfert, par Maxime Causse

Piste d'écriture: votre personnage est à un moment clé de son existence...

TRANSFERT

    Les coups du sort nous ouvrent des perspectives surprenantes sur l’existence. Bien sûr, nous crions notre désespoir, mais, après la crise et quel que soit la cause de notre malheur, nous envisageons la vie selon une nouvelle approche. Autrement dit, un raptus brutal dans notre routine est la voie royale vers l’inconnu.

    C’est ce qui est arrivé à Alexandre Robin. Trentenaire, trader dans une banque prestigieuse, il fut renversé par un taxi alors qu’il rentrait du travail. Devenu tétraplégique, il hurlait qu’il voulait mourir, ne plus exister. Sa compagne, Amélie, bien évidemment, le quitta. L’amour a ses limites.

    Cloué sur son lit, il rêvait, s’évadait de son quotidien lugubre par le biais de son imaginaire. Durant des mois, il fut absorbé par ses rêveries. Il s’intéressa à la méditation et s’adonna en témoin impartial à l’observation de ses pensées, ses émotions et à sa douleur. Progressivement, il prit conscience de son être profond c’est-à-dire de son Soi. Les images qui défilaient devant son esprit disparurent pour laisser place à une clarté lumineuse. Désormais une étrange plénitude habitait son être intérieur. Il devint conscient de lui-même dans son sommeil.

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    Puis une nuit, alors qu’il dormait, il sentit une secousse et ce fut le second choc de sa vie. Soudain, il pouvait marcher ! Libre ! Il était libre ! Alexandre tourne la tête et surprise ! Il contemplait son propre corps endormi. Quelle étrange expérience ! Il avait néanmoins des difficultés à se déplacer dans son corps de rêve et brusquement il revint dans son lit. Le lendemain, Alexandre était heureux de sa nouvelle liberté bien que sa paralysie l’affligeait. Mais un espace de liberté s’était ouvert à lui.

   Les nuits suivantes, il apprit à maîtriser son nouveau corps. Au début, il se déplaçait malhabilement puis progressivement, il arrivait à s’éloigner de plus en plus de sa dépouille. Il voyageait en volant au- dessus de la ville. Il comprit finalement qu’il lui suffisait de penser à un endroit connu pour s’y retrouver instantanément. Une idée germa alors dans son esprit. S’il se focalisait sur l’Inde par exemple, il pourrait rencontrer quelques mystiques qui seraient capables de lui expliquer cet étrange phénomène. En effet, Alexandre se souvenait de vagues lectures sur les prodiges de l’Inde.

  Alors, un soir, il se focalisa sur cet étrange continent et en un éclair se retrouva devant l’entrée d’un temple hindou perdu parmi les arbres et les lianes d’une forêt luxuriante.

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   Un petit homme de couleur brune était assis dans l’enceinte du temple près d’un feu. Celui-ci lui dit : « Bonjour Alexandre, je m’appelle Ganji. Je t’attendais, nous nous sommes rencontrés dans d’autres vies. Ton accident fut le moyen qu’employa le destin pour que nous puissions nous rencontrer à nouveau »

« Qui êtes- vous ? » demanda Alexandre.

«  Disons que je suis quelqu’un qui a parcouru les sentiers de la vie en tous sens et qui est fatigué par l’existence. J’aspire à rejoindre les régions supérieures de l’univers où je pourrai poursuivre ma quête de la connaissance divine » répondit Ganji.

« Ça veut dire quoi les régions supérieures de l’univers au juste ? » l’interrogea Alexandre.

« Pour dire les choses simplement, il s’agit de régions immatérielles où la conscience est plus raffinée et donc la vérité plus apparente. Mais laissons cela, j’ai quelque chose à te proposer : je vais quitter ce corps sain, vigoureux et encore jeune que j’habite, je vais transférer mon être  vers un plan supérieur. Cependant, mon corps sera toujours vivant. Si tu le désires, nous pourrons te transférer dans mon corps. Mes disciples s’occuperont du rituel nécessaire. »

« Ce serait merveilleux ! » s’exclama Alexandre, « j’accepte ! Quand pourrons-nous effectuer ce transfert ? »

« Au moment du Wesak, à la pleine lune du mois de mai, c’est-à-dire dans un mois environ » répondit Ganji.

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   Le jour prévu, Alexandre vint dans son corps de rêve. C’était la nuit, un grand feu éclairait l’enceinte du temple. Ganji était peinturluré de couleur  jaune et rouge. Les disciples psalmodiaient des litanies entêtantes. Soudain Ganji s’effondra et Alexandre vit une flamme dorée s’échapper de sa tête pour disparaître dans l’obscurité. Les chants continuaient, hypnotiques. Alexandre se sentait irrésistiblement attiré par le corps inerte de Ganji. Soudain, il perdit conscience et quand il revint à lui, il constata qu’il se retrouvait dans son nouveau véhicule de chair.

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  Et dans une lointaine ville occidentale, un corps handicapé se trouvait entre les mains de médecins urgentistes. Ils essayaient de le ranimer, en vain. Alors qu’ils abandonnaient les soins au petit matin, un rayon de soleil éclaira le visage apaisé de l’ancien corps d’Alexandre.