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4 avril 2014

Pâris des bois (III), par Corinne Français

 

bouleauDepuis qu’il avait quitté le phare de la vieille, Pâris n’avait pas renoué avec le travail.

Non pas par choix ou par paresse. Cela ne s’était simplement pas présenté. De son ancien métier de gardien de phare, il avait gardé le côté solitaire et contemplatif. Il ne fuyait toutefois pas la compagnie de ses congénères. Mais il ne la recherchait pas non plus. C’était ainsi et c’était bien ainsi. Pâris menait sa vie au jour le jour. Il se sentait libre et jouissait du simple plaisir d’être vivant. Le matin, tôt, après un petit déjeuner frugal, il partait en forêt pour un long moment. Un panier, un couteau, une paire de bottes, un bonnet de marin vissé sur son crâne rasé, la démarche était déterminée et le pas volontaire.

Il pénétrait dans le sous-bois par le chemin principal puis très vite, arrivé au bouleau penché, il s’enfonçait un peu plus dans le cœur de la forêt par un petit sentier de ronces. Ça sentait le champignon. Une trouée de verdure fleurie surgissait derrière la sapinière et de l’autre côté, il y avait cette étendue d’eau au bord de laquelle il aimait s’arrêter. C’était le moment préféré de sa balade. Seul au  monde dans cette ambiance quasi surnaturelle, il avait parfois surpris un chevreuil ou un renard en train de s’abreuver.

En s’approchant silencieusement, comme à l’accoutumée, il eut la surprise d’entendre un chant inhabituel. Tendant l’oreille, ce qu’il perçut lui sembla totalement incongru et le trouble s’empara de lui. Cela parlait. Mais non seulement cela parlait, cela parlait asiatique.

Agacé puis furieux, son envie première eut été de voler dans les plumes du malappris qui envahissait son endroit à lui, mais la situation était en même temps tellement cocasse que la curiosité lui dicta de demeurer invisible au trublion. Il s’avança prudemment, caché par le feuillage. C’était invraisemblable. Au bord de l’eau, assis sur un petit tapis de couleur, un homme, jeune, japonais peut-être, récitait, psalmodiait quelque chose, ne s’interrompant que pour reprendre l’air. Les yeux fermés, le dos droit, l’inconnu était totalement absorbé par les mots qui s’égrenaient de sa bouche tel un flot continu. Pâris n’osait pas bouger. Il avait un peu honte de regarder l’homme et d’assister malgré lui à ce qui semblait être un rituel privé. Mais impossible de faire marche arrière sans qu’une branche craque sous ses pieds ou que les feuilles bruissent, révélant sa présence.

Il maudit l’inconnu d’être venu déranger sa promenade quotidienne et solitaire. Et, en même temps, quelque chose le retenait. Il était touché par ce qu’il voyait, ce qu’il entendait. L’intonation, le timbre de la voix semblait une musique à ses oreilles, une sorte de berceuse. Bien sûr, il ne comprenait rien mais c’était beau et ça atteignait son âme.

L’homme s’était tu. Il s’était relevé, avait replié délicatement le petit tapis coloré. Puis, il était resté debout un moment et s’apprêtait à quitter les lieux. Pâris se détendit, ravi de pouvoir reprendre le cours de sa promenade dans un petit moment, comme si de rien n’était. La détente déclencha en lui un geste involontaire qu’il n’eut pas le temps de censurer. Il éternua. L’asiatique se figea et regarda aussitôt dans sa direction. Pâris, décontenancé, se figea également. Les secondes passèrent. L’un et l’autre restaient bras ballants, indécis sur la suite des événements. Pâris, se sentant fautif et coupable, sourit bêtement et fit un petit signe de la main qui semblait dire : « désolé »…

L’individu gardait les lèvres pincées, son regard était énigmatique et ses yeux brillaient d’une drôle de lueur. On eût dit un fauve prêt à bondir. Puis, il joignit les mains devant sa poitrine et s’inclina vers Pâris. Celui-ci, se sentant de plus en plus ballot, tenta d’imiter le geste et se pencha gauchement vers l’inconnu. Ils ne bougeaient toujours pas. Enfin, un large sourire illumina le visage de l’asiatique et Pâris le sentit se détendre. Il en fut soulagé. L’incident diplomatique semblait clos.

- « Kojirô » prononça l’inconnu d’une voix étonnamment rauque et basse.

- « Euh, Pâris. » Sa voix était peu assurée. Il se sentait encore englué par la honte.

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