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23 mai 2008

Rencontres, par Régine Vivien

Rencontres

 

 

Station « Notre Dame De Sablassou », sept heures vingt,  les portes se ferment enserrant la multitude d’adolescents qui était massée sur le quai. Dans la rame, quelques adultes sont disséminés au milieu de ces filles et de ces garçons en devenir, mal réveillés, grognons, silencieux et méprisants, silencieux et endormis, bruyants et mal élevés, bruyants et provocateurs.

 

C’est l’heure d’affluence. Tous les sièges sont occupés. Chacun se fait sa place, trouve une barre où accrocher sa main, où se maintenir en équilibre, un endroit où s’appuyer, un espace où respirer.

 

La musique déborde des écouteurs et ça fait : tac, tac, tac, enfin un bruit de machine à laver. Certains sont jumeaux, une oreillette pour l’un, une oreillette pour l’autre. Ceux-là se parlent de temps en temps pour changer de morceau, ils sont à deux dans leur ailleurs

 

Beaucoup sont seuls, leurs oreilles fermées à ce qui les entoure par l’écran musical.

 

De temps en temps résonne un :

 

- Allo ! Je suis à « Jeu De Mail  », tu m’attends ?

 

- Tu es où ?

 

Ces questions énoncées au portable demandent une réponse que les autres voyageurs, indiscrets malgré eux, imaginent.

 

Quelques apartés animés entre copains :

 

Tu as vu la prof de maths, comme elle explique, je comprends rien.

 

- Et l’anglais, ne m’en parles pas, c’est chaud.

 

Ces apartés ne peuvent échapper aux oreilles de leurs voisins immédiats.

 

A chaque arrêt une voix immatérielle annonce le nom de la station et répète, imperturbable la destination « Saint Jean De Védas centre » aux nouveaux entrants et aux autres ….

 

Adossé à l’articulation du tramway, un garçon, cheveux bouclés aux épaules entourant son visage d’ange, bandeau blanc sur la tête, sûr de son charme, discute avec sa cour de lycéennes

 

Une fille, contre la fenêtre, révise son cours de sciences sur une feuille agrémentée de croquis. Sa voisine pose des questions à la troisième sur sa chimie. Un autre rêvasse.

 

Debout, appuyée et calée entre deux sièges, une dame lit le journal gratuit « Montpellier plus » happée prestement sur le quai avant de monter. Les faits divers, les nouvelles de la France, les actualités internationales s’insinuent dans la rame.

 

Un monsieur, costard cravate, cartable en cuir, regard sérieux, qui tangue dans le roulis et les oscillations du tramway détonnent au milieu de cette jeunesse remuante.

 

La dame lance un regard sur cette foule d’ados et se projette dans un film de sciences fiction où ne resterait sur terre qu’une poignée d’adultes. Elle frissonne.

 

Une blonde longue et fine, pull échancré et pantalon près du corps, interpelle une brune, boudinée dans son jean installée sur le siège de l’autre côté. Un dialogue s’installe à haute voix, toute la rame bénéficiant des détails de leur bavardage.

 

Les rires fusent, agréable musique, tout autant que les « elle ne va pas me casser les couilles », langage ordinaire de la jeunesse.

 

Le tramway, lui, glisse, indifférent aux humeurs et sentiments de ses passagers. Une grande boucle se présente. Il prend son élan et vire élégamment.

 

A l’intérieur, les passagers glissent sur leurs sièges, vacillent, titubent, se tiennent aux portes, à tout ce qu’ils peuvent accrocher.

 

Puis le tramway retrouve sa ligne droite et reprend sa course, le nez au vent.

 

Dans la rame la fille est là comme tous les matins. Ces mitaines qu’elle porte jusqu’aux coudes lui donnent un air dix neuvième siècle mais c’est sans compter avec son bas de jogging noir et informe qui interpelle et attire l’attention. Sa veste, on ne saurait dire, elle est indéfinissable. Ses cheveux sont noirs, épais et bien plantés, à mi-longueur. Constamment elle déplace une mèche qui la gène et la met derrière une de ses oreilles. Elle ne ressemble à personne, même pas maquillée, mais des yeux vivants, brillants et chatoyants.

 

Elle est debout et parle à un adolescent immense, taille adulte, mais cœur d’enfant. Elle lui raconte sa vie, son univers. Elle est sûre d’elle, enfin elle est sûre qu’elle veut attirer son attention.

 

Lui, il est encombré de ce corps d’adulte. Il ne se sent pas à la hauteur. Mais il se rend compte qu'elle l'attire dans ses filets. Il s'oublie un instant. Il se fond dans la fille. Elle le flatte, lui demande son avis, ses gouts. Et il se perd. Son grand corps lui pèse moins.  

Zut, une secousse, un soubresaut et le voilà projeté contre elle. C’est l’arrêt au Corum. Les portes s’écartent, la fille rit, ses yeux scintillent de joie.

 

- Vite, descends.

 

Elle le pousse sans ménagement.

 

Il se retrouve seul sur le quai en un instant au milieu de la foule indifférente qui s’éloigne et monte les marches vers la Comédie. Son cœur saute dans sa poitrine. Ses oreilles se débouchent lentement. Et soudain, il réalise.

Mince, je l'intéresse. Il cherche à se la rappeler. Mais il n'a vu que ses yeux, enfin son regard. En fait il s'est vu dans les yeux de cette fille comme dans un miroir.

 

Il rayonne. Il exulte. Le ciel est plus bleu. L’air est plus pur. Les gens sont plus heureux.

 

Il accélère le pas pour ne pas être en retard au lycée. Mais il ne voit personne autour de lui. Il avance dans une auréole de bonheur. Il est beau ou intéressant. Enfin, il plait. Il ne pense même pas à demain, à la revoir.

 

A cet instant, il est plein d’allégresse. Rien ne compte que cet instant, où tout lui est possible.

 

La fille, elle, s’accroche à un siège, ballotte, balance au gré de l’accélération du tramway. Elle a déjà oublié ce grand dadais qui ne sait même pas qu’il a un sourire craquant, qui ne sait même pas que sa timidité lui donne un charme fou.

 

Régine Vivien, le 10 octobre 07         

 

 

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