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17 novembre 2011

Anatole, par Sonia

Anatole

Anatole est un garçon sensible. Avec ses 28 ans bien campés, il aime se parer de vêtements féminins, robes, jupes qu’il imagine, dessine, coupe et coud lui-même. Il aurait dû être styliste. Il en veut à ses parents qui l’ont orienté malgré lui vers un métier d’homme, un vrai, ingénieur des « Pompes et Chaussettes », ça en jette.

Ces deux là qui n’ont rien compris à la vie, ils n’ont pas senti que quand on va à l’encontre du désir de l’enfant, le naturel revient au galop un jour ou l’autre ; et voilà, maintenant, il leur rend la monnaie de leur pièce, ils prennent leur claque.

Car Anatole jongle avec deux emplois du temps : celui très chargé d’ingénieur hydraulique responsable des crues dans la moitié sud du pays, et l’autre, privé, de transformiste. C’est dans cette deuxième vie qu’il vit, qu’il revit, qu’il se vit.

«  Pauvres parents qui n’ont jamais osé le dire à la famille, aux amis, pauvres parents qui n’ont jais osé venir  voir un seul de ses spectacles. C’est la honte qui les retient. »

Anatole éprouve des difficultés à vivre. Se savoir l’objet de la honte parentale n’est pas précisément enivrant.

Anatole s’enivre. Le vin, la bière, le whisky, tout est bon.

Sauf qu’il doit assurer son poste; sans cesse à l’affut des orages, des pluies, des crues du nord au sud, d’est en ouest, il est à l’affut des eaux qui débordent. Il est débordé, il rêve qu’on le borde. En lui, c’est la haine qui déborde, pas l’eau, la haine de décevoir ses parents, la haine envers ses parents, et finalement, la haine de soi.

Vivre avec la haine, ce n’est pas enivrant. Alors le vin, la bière, le whisky, tout est bon.

Il doit assurer son poste car s’il le perd, adieu aux soirées transformistes, aux costumes, aux fards, aux talons hauts. Il tente de s’accrocher aux branches en périodes de sècheresse, en périodes de crues.

Pas facile avec ce qui pourrait se nommer un double handicap : le garçon aux manières de filles dans un milieu de machos assumés, et l’alcool qui lui creuse des trous dans le cerveau ; ça fait beaucoup pour un seul homme, homme pris au sens large.

Il est brillant, il est jeune, mais ses 28 ans lui pèsent déjà. Il est lesté.

Un matin de la mi-décembre, le voilà convoqué chez son patron. Il craint de deviner ce qui l’attend. La veille, il a omis d’honorer un rendez-vous avec le Préfet de l’Ariège, rien que ça. C’était le lendemain d’un de ses spectacles de folie, il s’était couché très saoul le matin à 4 heures. Le réveil avait sonné dès 7 heures, longtemps, dans le vide. Le Préfet avait attendu, l’eau montait, il dormait.

Comment se présenter devant le patron ? Il a une heure pour réfléchir, son désir est incertain.

Deux solutions se présentent à lui :

Mettre tout en œuvre pour tenter de conserver son poste et ainsi assurer son avenir de transformiste ou, avec les conséquences qu’il entrevoit, tout lâcher, tout abandonner.

Quand, lesté d’une ceinture de pierres, il se lance dans le Tarn glacé de décembre, il sourit. Il se sent bien, il se sent délesté. Il a toujours aimé le Tarn.

Il pense à  son ultime revanche sur ses parents qui n’auront plus honte, il pense à la tronche de son patron qui l’attendra sans le voir venir, il pense à ses collègues machos qui prendront des airs affligés, il pense aux délégués syndicaux qui l’avaient toujours regardé de travers, sourires entendus, et qui appelleront dès demain à une grève générale pour lutter contre la souffrance au travail.    

 crue Pont de Sampzon1

 

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